Observatoire français des tornades et orages violents

Orages supercellulaires en Lorraine le 11 mai 2012

En fin d'après-midi du 11 mai 2012, 6 structures convectives présentant un comportement de type supercellulaire ont été observées en à peine plus d'une heure sur la Lorraine, parmi lesquelles 1 a atteint un stade de supercellule avérée (en Moselle), 1 l'a sans doute atteint sans toutefois que l'ensemble des critères requis ne soient remplis (en Moselle également), 3 se sont davantage limité à des amorces peu durables, et 1 a évolué en un moteur gauche persistant.  

Résumé de l'épisode

Après une matinée et une première partie d'après-midi dominées par un temps parfaitement ensoleillé, qui ont permis un échauffement particulièrement marqué des basses couches (plus de 28°C en de nombreuses stations de Lorraine), la convection se déclenche soudainement vers 16h50 locales sur un axe Val-de-Meuse (52) / Nancy (54). Cet axe de convection profonde en plein développement est identifiable sur l'image satellite ci-contre. Il comprend 4 cellules distinctes qui adoptent rapidement un comportement supercellulaire et génèrent chacune un split entre 17h15 et 17h30 (dédoublement de la cellule).
Trois d'entre elles circulent sur la Meurthe-et-Moselle tout en se déstructurant rapidement dans la demi-heure qui suit. Elles génèrent de fortes précipitations, mais ne parviennent pas à développer des structures supercellulaires pérennes.
La quatrième génère un second split en entrant sur le département des Vosges. La cellule moteur gauche restera active et autonome durant plus d'une heure, avant de se dissiper aux confins de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle.
Une cinquième cellule se forme vers 17h30 sur le secteur de Dieuze (Moselle). Pendant une heure, elle balaie la Moselle en direction du nord-ouest de Sarrebourg, en déviant sur la droite du flux et en développant une structure supercellulaire classique bien aboutie. Le nuage-mur associé, fortement développé, connaît une phase pré-tornadique durant environ 5 minutes, sans que celle-ci ne semble avoir évolué jusqu'à former une tornade. Des vents forts, de la grêle et de fortes pluies sont néanmoins signalées à son passage.
Enfin, une sixième cellule se forme vers 18h sur la Moselle également, qu'elle traverse en déviant fortement du flux pendant près d'une heure, et en affectant essentiellement le nord du Parc Naturel Régional des Vosges du Nord.
Ces deux dernières cellules sont celles qui ont présenté le comportement supercellulaire le plus durable et le plus caractéristique de cet épisode.

 

Observations

La cinquième cellule de cet épisode, qui s'est structurée en supercellule classique, a pu être photographiée par un témoin lors de son passage au nord-ouest de la ville de Sarrebourg. Il apparaît clairement que le nuage-mur, bien étiré dans l'axe du mésocyclone, a développé une excroissance conique durant environ 5 minutes, avec une extension verticale particulièrement prononcée lors de l'intensification du courant descendant arrière (photo de droite). Il s'agit typiquement d'un nuage-mur en phase pré-tornadique, avec dès lors une probabilité non nulle de vents tourbillonnaires au sol.
Néanmoins, aucun dégât spécifique n'a pu être relevé sur place, et seuls des dommages relativement mineurs et anarchiques sur la végétation ont été rapportés dans ce secteur. Aucun élément ne permet donc à ce jour de confirmer une éventuelle occurrence de tornade sous cette supercellule.

 

            

crédit photo : (c) A. NICOLLE

 

Situation météorologique

La France se trouve située ce 11 mai 2012 sous l'influence conjointe d'une puissante dorsale d'altitude étirée depuis l'Afrique du Nord jusqu'à l'Europe Centrale, et d'un minimum d'altitude vigoureux en transit sur les îles britanniques. Il en résulte un rapide flux de secteur sud-ouest, avec courant-jet positionné sur le nord du pays. Les cisaillements profonds s'en trouvent accentués, avec des valeurs progressivement supérieures à 15 puis 20 m/s sur la Lorraine au fil de l'après-midi (cf. ci-dessous à gauche).
La masse d'air en présence du sud-ouest au nord-est du pays est alors d'origine tropicale et instable, avec des valeurs de MUCAPE qui, en cours d'après-midi, dépassent 2000 J/kg de l'Auvergne à la Lorraine. Les indices de soulèvement s'abaissent localement jusqu'à près de -7 K au moment du déclenchement de la convection sur ces régions. Ce type d'environnement fortement instable et cisaillé est propice au développement de structures convectives complexes, et notamment de supercellules.

 

     
Cisaillements 0-6 km
WRF 8 km France 
Run du 11 mai 2012 00Z
MUCAPE
WRF 8 km France
Run du 11 mai 2012 00Z
SB Lifted Index
WRF 8 km France
Run du 11 mai 2012 00Z

 

Prévisions

Compte tenu des éléments caractéristiques précités, cet épisode de supercellules a pu être favorablement anticipé et annoncé dans le bulletin de prévision émis le 11 mai 2012 :

[...] Compte tenu de cisaillements profonds parfois supérieurs à 20 m/s et d'une hélicité supérieure à 150 m²/s² sur l'épaisseur 0-3 km, des structures de type supercellulaire, à dominante classique, sont susceptibles de se développer, avec risque lié de formations tourbillonnaires. La faiblesse de l'hélicité en très basses couches (SRH 0-500 m < 50 m²/s²) limitera néanmoins la probabilité d'évolution jusqu'au stade de tornade ; ce risque est donc jugé faible. [...]

 

 

Autres épisodes d'orages supercellulaires

Les supercellules, si elles constituent la structure convective la plus rare, ne sont pas pour autant un phénomène exceptionnel en France.

L'étude de ces orages rotatifs est encore récente en France, et le recul climatologique est de ce fait trop faible encore à ce jour pour en tirer des conclusions définitives. Néanmoins, depuis que KERAUNOS réalise un suivi national des supercellules (depuis 2007), de nombreuses occurrences de supercellules avérées ont été enregistrées chaque année, avec certains épisodes de grande ampleur. Les mêmes départements (Moselle, Meurthe-et-Moselle) avaient par exemple déjà été l'objet d'un développement successif de 4 structures de type supercellulaire le 23 août 2011. C'est toutefois en 2009 que les épisodes majeurs les plus récents ont été observés :
+ le 11 mai 2009 : trois années jour pour jour avant cet épisode d'orages supercellulaires qui a touché la Lorraine, un épisode majeur de supercellules frappe le Sud-Ouest du pays, avec 6 supercellules simultanément à maturité. Les chutes de grêle associées sont remarquables.
+ le 25 mai 2009 : 7 supercellules et une quinzaine de splits sont observés en quelques heures sur le nord du pays, à l'origine de chutes de grêle exceptionnelles, d'une tornade et de rafales de vent localement supérieures à 130 km/h.

On note d'ailleurs que les hodographes reconstitués sur le profil moyen des régions concernées au cours de ces deux journées présentaient des caractéristiques encore plus propices aux développements supercellulaires que celles observées ce 11 mai 2012. On note en effet les 11 et 25 mai 2009 des hodographes bien étirés accompagnés d'un crochet dans les basses couches, ce qui témoigne conjointement de puissants cisaillements profonds et d'une forte hélicité dans les premiers kilomètres de l'atmosphère :

 

     

11 mai 2009
Hodographe représentatif de l'environnement moyen
dans le sud-ouest de la France en fin d'après-midi

25 mai 2009
Hodographe représentatif de l'environnement moyen
dans le nord de la France en début de soirée

11 mai 2012
Hodographe représentatif de l'environnement moyen
dans le nord-est de la France en fin d'après-midi


 les supercellules dans le nord-est de la France

 L'analyse des situations propices aux supercellules fait partie des sujets sur lesquels KERAUNOS mobilise une partie significative de ses travaux de recherche. L'année 2011 a ainsi vu se concrétiser une étude climatologique des environnements supercellulaires sur la France sur la période 1948-2010. Un compte-rendu synthétique en a été présenté lors du séminaire KERAUNOS 2011.

Il en ressort entre autres que, si le quart nord-est de la France n'est pas la région la plus régulièrement exposée à des conditions propices aux déclenchements supercellulaires, on y observe ponctuellement des environnements qui y sont particulièrement favorables, avec des pointes de "potentiel supercellulaire" parmi les plus élevées de France, notamment entre le sud du Nord - Pas de Calais et le nord de la Lorraine.
Ainsi, l'une des configurations les plus propices aux supercellules que la France ait connu au cours de ces 60 dernières années a été observée le 17 septembre 1975 dans le quart nord-est du pays. Ce jour-là, un puissant flux de SSO ceinturait le pays, advectant de l'air d'origine tropicale surchauffé (record mensuel de chaleur en Corse, avec 40°C à Ajaccio), et induisant des cisaillements profonds supérieurs à 40 m/s au sein de profils verticaux très fortement instables (MUCAPE > 4000 J/kg, MULI < -10 K).

A lire aussi : Etude de cas de deux supercellules dans le fossé rhénan, le 23 juin 2008

 

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