Complexe convectif de méso-échelle et derecho le 12 juillet 2010
Un épisode orageux sévère a balayé une bonne partie du pays dans la journée du lundi 12 juillet 2010. Cette journée recèle de phénomènes orageux intenses, rarement observés en France (MCC, derecho) producteurs de violentes rafales de vent destructrices, de précipitations intenses et de grêle.
Pour information, le MCC est la structure convective qui s'est organisée en bow echo, générant lui-même un phénomène de derecho.
Le terme de derecho a été instauré en 1877 par Hinrichs, professeur de Physique à l'Université d'Iowa. Le mot derecho (prononcer dé-ré-tcho) est d'origine espagnole et signifie "tout droit", en opposition à "tornar" pour "tourner", qui a donné son nom au terme "tornade".
Observations terrain
+ des chutes de grêle se produisent entre la Dordogne et la Gironde en deuxième partie de nuit du 11 au 12 juillet. Elles provoquent des dégâts sur quelques exploitations viticoles (Entre-Deux Mers notamment). Dans l'après-midi, c'est en Saône-et-Loire que les dégâts dus à la grêle sont les plus importants ;
+ d'intenses précipitations accompagnent de violentes rafales de vent sous un bow echo en tout début de matinée entre le Loiret, l'Indre et le Cher. Météo-France relève une rafale de 102 km/h à Chateauroux. Chutes d'arbres, fils électriques et toitures arrachées sont signalées (comme à Châtillon-Coligny par exemple) ;
+ le bow echo s'organise et génère un derecho en gagnant l'Ouest de la Bourgogne, la Champagne et les Ardennes. Des rafales de 100 à 130 km/h sont relevées par Météo-France de manière généralisée sur les départements de la Marne, de l'Aube, des Ardennes et de la Haute Marne. Le Nord-Ouest de l'Yonne et l'Est de la Somme sont également touchés. Les dégâts générés par le derecho (dégâts dus au vent) sont assez importants sur les régions touchées ;
+ quelques inondations (infiltrations, ruissellement) sont observées au passage du derechos, qui génère des lames d'eau de 20 à 40 mm en 1h de manière locale ;
+ une coulée de boue provoque des dégâts en Savoie, vers Pralognan, sous l'activité orageuse de l'après-midi, ponctuellement forte en Vanoise ;
+ la foudre frappe une habitation à Richebourg dans le département du Pas-de-Calais en matinée. Dans l'après-midi, c'est à Fretterans et à Lans en Saône-et-Loire que la foudre s'abat.
+ plusieurs microrafales sont recensées par l'Observatoire durant la journée ;
+ un tuba est photographié en Seine-Saint-Denis, sous une cellule orageuse suspecte ;
+ une tornade est photographiée et filmée en Seine-et-Marne en fin de journée (vers 17h30). Elle frappe une ferme et arrache tôles et débris sur des dizaines de mètres. Une enquête de terrain est en cours pour définir son intensité et sa trajectoire.
En Allemagne, une personne a été tuée et plusieurs autres blessées par les vents violents générés par le passage du derecho.
Chronologie de l'épisode
Vers 00h TU ce 12 juillet 2010, des cellules orageuses isolées commencent à s'organiser entre la Gironde, le Sud des Charentes et la Dordogne. Un premier petit système convectif de méso-échelle parvient à se constituer. Au fil de la nuit, l'activité orageuse s'intensifie en remontant vers le Nord-Est du pays et s'organise rapidement en complexe convectif de méso-échelle (MCC).
Il s’agit là de la première structure type MCC recensée par l’Observatoire. Durant ces 10 dernières années, de vigoureux systèmes convectifs de méso-échelle (MCS) ont balayé le pays, mais les critères de Maddox, retenus par l’Observatoire pour la validation des complexes convectifs de méso-échelle (MCC) n’avaient pas été intégralement remplis (ou quasiment en 2008 par exemple).
Les critères de Maddox exigent en effet une durée de vie du complexe convectif d’au moins 6h, avec une convection de type circulaire ou un rapport longueur/largeur de 70/30, couvrant une surface d’au moins 100 000 km² dont 30 000 km² avec température aux sommets des nuages inférieure à -52°C.
L’organisation du complexe convectif de ce 12 juillet 2010 s'est nettement accélérée entre 4h loc. et 6h loc. :
- à 5h loc, le complexe couvrait une surface d’environ 90 000 km².
- à 6h loc, la surface a quasiment doublé pour atteindre environ 120 000 km²
- à 7h loc, la surface couverte atteint 150 000 km².
- à 10h loc, l’aire couverte avoisine les 180 000 km²
- à 11h loc, on note un affaissement dans la partie Sud-Ouest du complexe, mais une nouvelle convection s’opère à l’avant, dans l’alimentation principale. La surface recouverte par la convection profonde dépasse les 200 000 km² (avec une zone plus restreinte toutefois où la température aux sommets des nuages est en-dessous de -52°C).
Images satellite vapeur d'eau colorisée : évolution du MCC sur la France à 5h, 6h, 7h, 8h, 10h et 11h locales (source NRL)
Image satellite visible vers 9h locales : la zone entournée de gris matérialise une convection vigoureuse avec température aux sommets des nuages inférieure à -60°C.
Cette zone couvre environ 50 000 km².
Rapidement, une structure arquée, de mieux en mieux organisée, se développe. Les images radar mettent en évidence dès le début de journée, la présence d'un bow echo assez virulent, provoquant déjà de violentes rafales sur le Sud-Ouest de la région Centre. Au fur et à mesure de son déplacement vers le Nord-Est du pays, les conditions deviennent de plus en plus cisaillées, instables et humides, au plus près des forçages d'altitude. Le bow echo s'allonge et se distingue par l'apparition de sous-structures arquées. Un bow echo générant un derecho prend naissance sur le Nord de la Bourgogne, la Champagne et les Ardennes puis progresse vers le Benelux, les Pays-Bas, le Danemark et le Sud de la Norvège dans le courant de la journée. Il parcourt près de 1500 km en 10h environ !
Les derechos ont la particularité d'avoir une très longue durée de vie (près de 8h pour celui-ci) en provoquant tout le long de leur trajet des rafales destructrices de 100 à 130 km/h.
Evolution du derecho entre 8h30 loc en France (à gauche), 13h30 loc entre Belgique et Pays Bas (au milieu) puis 15h30 loc sur le Nord des Pays-Bas (à droite)
Sources Wetter 24 et KNMI
Dans le courant de l'après-midi, l'activité orageuse reprend sur un tiers Est où le front froid se réactive. De nombreuses multicellules s'organisent pour former un système convectif de méso-échelle linéaire d'ici la fin de l'après-midi.
Image satellite visible de 18h locales mettant en évidence le MCS qui évolue sur le Nord-Est du pays
Contexte météorologique et prévision
Un front froid peu actif, piloté par une vigoureuse anomalie basse de tropopause, stagne près de la Bretagne dès les premières heures de cette journée du 12 juillet.
A l'avant, des déclenchements convectifs pré-frontaux se produisent. Une convergence de basse couche très marquée se dessine dès la deuxième partie de nuit par le Centre-Ouest du pays, alors que de fortes valeurs de thêtaE sont advectées dans un flux de Sud.
En altitude, le contexte est très fortement divergent (configuration simultanée d'entrée droite/sortie gauche de courant-jet).
Tous ces facteurs deviennent favorables à un creusement méso-dépressionnaire qui circule alors de plus en plus vite du Centre-Ouest vers l'Ile-de-France puis les Ardennes, la Belgique, les Pays-Bas et le Danemark.
La dynamique d'altitude et de basse couche rend les profils verticaux (déjà très instables) particulièrement bien cisaillés, à tous les niveaux.
Dans ces conditions, un système convectif de méso-échelle se développe sans mal, à tel point qu'il devient rapidement complexe convectif de méso-échelle.
Cette structure convective entre en rotation autour de la méso-dépression (misovorticités). Le puissant jet de basse couche généré par le minimum dépressionnaire est favorable à l'organisation d'un bow-echo, responsable de violentes rafales et parfois d'inondations sous précipitations intenses. Les basses couches, fortement humidifées et très cisaillées (10 à 15 m/s de cisaillements 0-1 km), l'abaissement des seuils de condensation, des intrusions sèches à l'étage moyen, ont finalement contribué à la survenue du derecho.
L'analyse du Met-Office de 6h TU ce 12 juillet 2010 met en évidence la présence du front froid de la Baie de Somme à l'estuaire de la Gironde. Le creusement de la méso-dépression, selon le processus détaillé plus haut, induit une nette accentuation des cisaillements de basses couches. L'intrusion sèche à l'étage moyen, couplée à une instabilité très importante de la France au Danemark entretient le derecho.
Celui-ci s'est maintenu durant plusieurs heures, près de l'entrée droite du courant-jet.
Dans l'après-midi, le front froid se réactive en progressant vers l'Est. La convergence de basse couche se décale pour se placer entre Rhône-Alpes et l'Alsace. Les forçages d'altitude sont de fait bien phasés avec une instabilité croissante, atteignant jusqu'à 3000 voire 3500 J/kg. Le soulèvement devient maximal, de forts voire violents orages, organisés de façon linéaire le long de la convergence se développent sans difficulté.
L'Observatoire, dans sa prévision du 12 juillet 2010, publiée à 00h locales, a fait mention d'un risque d'orages localement violents, d'une part de la Bourgogne à la Champagne, en liaison avec l'activité orageuse matinale, et d'autre part du Lyonnais à l'Alsace l'après-midi :
Niveau 2/4 pour fortes lames d'eau, fortes rafales de vent en matinée.
+ Du Poitou à la Touraine, l'Ile de France et l'Avesnois, les orages conservent en matinée une certaine vigueur. Le forçage d'altitude balaie les régions de l'Ouest dans le courant de la matinée, dans un contexte qui reste fortement divergent en altitude (sous une configuration simultanée d'entrée droite/sortie gauche de courant-jet). Les profils verticaux demeurent bien instables ce lundi matin (MUCAPE entre 1500 et 2000 J/kg en moyenne).
Le jet de basse couche, généré par le creusement dépressionnaire de méso-échelle tendrait à davantage concerner la partie Est de cette zone (et surtout la Champagne en niveau 3/4). Toutefois, des rafales de vent supérieures à 80 km/h, de fortes lames d'eau capables de produire des cumuls supérieurs à 50 mm ainsi que de manière plus ponctuelle, des chutes de grêle, sont à envisager sous cette activité orageuse prévue.
En cours d'après-midi, le risque orageux s'estompe puis s'efface sur l'ensemble de la zone visée.
+ Sur les Cévennes, les contexte est davantage convergent (notamment entre Corbières, Montagne Noire et Aigoual). Une activité orageuse modérée, avec fort potentiel en eau précipitable est à prévoir. Ponctuellement, des chutes de grêle parfois modérées pourront s'y abattre.
Niveau 3/4 en raison d'un risque de grêle, de fortes lames d'eau et d'inondations ainsi que de fortes rafales.
+ Vers la fin de matinée, l'activité orageuse de la nuit précédente et du début de matinée gagne la Champagne et l'Ouest de la Bourgogne. Elle tend à se réactiver sur une masse d'air réchauffée, qui connaît de fait un regain d'instabilité (MUCAPE sup. à 2500 J/kg). Le vigoureux jet de basse couche qui s'est constitué circule à proximité de la Champagne. Fortes lames d'eau (sup. à 50 mm localement), chutes de grêle et violentes rafales de vent semblent très probables de la Bourgogne aux Ardennes. Le risque orageux régresse en cours d'après-midi.
+ Du Massif-Central au Lyonnais, jusqu'au Jura, à la Lorraine et l'Alsace, les forçages d'altitude arrivent dans l'après-midi. La masse d'air très instable (jusqu'à 3500 J/kg) et les fortes valeurs de thêtaE (60/64°C à 850 hPa) réactivent le front froid. Une convergence de basse couche s'organise rapidement dès la fin de matinée (plus nette vers le Lyonnais, plutôt sous la forme d'un thalweg de basse couche sur le Nord-Est).
Tous ces forçages contribuent à déclencher une vigoureuse convection profonde, capable de générer des orages forts, voire localement violents, producteurs de chutes de grêle supérieures à 3 voire 4 cm, et de fortes rafales de vent (delta thêtaE voisins de 18/22°C).
Le potentiel en eau précipitable, très riche (jusqu'à 60 mm) fait craindre un risque de cellules très pluvieuses, à même d'entraîner des inondations, d'autant plus que le déplacement des orages risque d'être lent sur le relief (faible storm motion).
Le risque orageux devient moins sévère à partir de la fin de soirée, bien qu'il puisse persister près des Alpes et du Jura.
Ajoutons que l'environnement, bien cisaillé (EHI 0-3 km de 3,5 notamment), rend possible l'observation d'amorces supercellulaires.
Photographies
L'une des nombreuses microrafales relevées ce jour, dans l'Indre, sur la commune de Rouvres, provoque de gros dégâts (photographie Jean-François LEVERT / Nouvelle République) :
Une série de clichés montrant l'arrivée du MCC avec bow echo dans le Loiret (45) nous a été transmis par Robin RICHARD :