Observatoire français des tornades et orages violents

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Le 21 juin 2024, un épisode de laves torrentielles dévaste une partie du hameau de la Bérarde, territoire de Saint-Christophe-en-Oisans (Isère). Le phénomène, exceptionnel par son intensité, oblige l'évacuation de 96 personnes. Aucune victime n'est à déplorer. 

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Hameau de la Bérarde quelques heures après la catastrophe : nouveau lit des Etançons creusé au milieu des habitations. Ce qu'il reste de la chapelle par suite de l'érosion © Le Dauphiné Libéré

Des pluies orageuses durables

Du 19 au 21 juin 2024, d'abondantes précipitations orageuses balaient le massif alpin, en liaison avec un minimum dépressionnaire durablement positionné sur la péninsule Ibérique (voir la situation météorologique plus bas). Sans être exceptionnellement intenses, ces précipitations revêtent un caractère remarquable par le cumul produit et la superficie touchée, aussi bien en vallée qu'en altitude. Plus particulièrement durant la journée du 20 juin, l'intensité de l'épisode est notable dans les massifs du Queyras et surtout des Ecrins (région de l'Oisans) où l'on relève des lames d'eau localement supérieures à 70 mm (relevés pluviométriques Météo France) : 

Plus particulièrement à Saint-Christophe-en-Oisans (9 km à l'ouest de la Bérarde), le cumul dépasse les 100 mm (ce total est probablement approché à la Bérarde, mais les données sont limitées à la seule journée du 19 juin, la station cessant d'émettre dès le lendemain). En altitude, l'analyse des lames d'eau sur cette période de 72 heures tend à confirmer un épisode d'une intensité nettement supérieure, avec des cumuls maximum observés des Rouies aux pics du Says (sud du massif des Ecrins) mais aussi de la Roche Faurio à la Roche d'Alvau qui surplombe le glacier de Bonne Pierre (est du massif des Ecrins).

Les données radar permettent par ailleurs de reconstituer la chronologie de l'épisode pluvieux sur le secteur de la Bérarde. On note que 8 vagues pluvieuses successives se sont succédées sur la zone à partir du 19 juin, la plus intense étant la dernière, en fin de nuit du 20 au 21 juin :

Durant cette même période, on observe par ailleurs une fonte importante du manteau neigeux au pied du col des Ecrins (2970 m), en pleine zone d'accumulation du glacier de Bonne Pierre : 291 cm (19/06), 273 cm (20/6) puis 261 cm (21/06) soit une perte de 30 cm en 2 jours. Les températures observées à cette altitude sont nettement positives (jusqu'à 12,1°C le 19 juin) avec des rafales de vent qui atteignent jusqu'à 154 km/h le 21 juin. Les précipitations, sous forme de pluie, ont dû contribuer à l'accélération de cette fonte. 

Une crue du torrent des Etançons

Les fortes précipitations observées dans le massif des Ecrins entraînent une réaction de plusieurs cours d'eau. Dès le 20 juin, le torrent du Vénéon entre en crue, ce qui provoque une inondation et une coupure de la RD530 qui mène au village de Saint-Christophe-en-Oisans et au hameau de la Bérarde. La circulation est impossible dès le Bourg d’Arud, en contrebas de la commune déléguée de Vénosc. Par crainte d'une poursuite de la montée des eaux, les deux campings de Bourg d’Arud sont évacués dans l'après-midi.

A la Bérarde, la situation se dégrade dans la nuit du 20 au 21 juin. Vers 1 heure locale, une rupture d'aménagements est observée sur le torrent des Etançons (affluent du Vénéon), prémices d'une lave torrentielle (mélange d'eau, de sédiments, d'éléments rocheux, voire d'arbres et de blocs déstabilisés). Par accumulation, ces laves commencent à recouvrir les habitations les plus proches du torrent (zones dites de "terrasses basses"*), tandis que le coeur du hameau de la Bérarde - bâti sur son cône de déjection à une centaine de mètres au sud et à l'est - est encore épargné. L'évacuation de l'ensemble de la population recensée (une centaine de personnes) est alors entreprise.

Durant plusieurs heures, le secteur subit les effets de ces laves torrentielles qui, en raison de leur volume considérable, finissent par s'étaler (phénomène de divagation) bien au delà-du lit du torrent des Etançons*. Ces laves se déversent alors à travers tout le hameau, dont le cône de déjection fini par être recouvert à environ 90% (selon les vues aériennes disponibles après les faits). Les habitations sont petit à petit entourées du produit de ces laves, sans toutefois être ensevelies. 

Par suite de cette divagation, un nouveau lit est progressivement creusé à partir des prés de Cagnez, et en ligne droite jusqu'au Vénéon. Son tracé frôle la chapelle et quelques constructions, qui finissent par s'éventrer sous l'effet de l'érosion*. La physionomie du hameau et de son environnement proche s'en retrouve profondément modifiée.

analyse complète sur le site Alpinemag : premiers éléments d'analyse géomorphologique de la crue

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Divagation des laves torrentielles. Cône de déjection presque entièrement recouvert. Chapelle encore debout © Sécurité Civile

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

La même vue quelques heures plus tard : constitution du nouveau lit des Etançons. Chapelle et plusieurs habitations éventrées © Le Dauphiné Libéré

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Vue d'ensemble du hameau de la Bérarde après la catastrophe. A gauche : les premières habitations englouties et le tracé de l'ancien lit. A droite, le nouveau lit des Etançons et l'impact de l'érosion sur la chapelle et quelques habitations © Le Dauphiné

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Détail du nouveau lit des Etançons creusé au milieu du hameau. Impact de l'érosion sur la chapelle, dont il ne reste que quelques murs et la toitures. Plusieurs autres habitations éventrées voire détruites © Le Dauphiné Libéré

Une catastrophe aux causes multiples ?

Après la catastrophe, un vol héliporté détecte une vidange du lac supraglaciaire de Bonne Pierre. Ce dernier alimente le torrent de Bonne Pierre, qui se jette à son tour dans le torrent des Etançons, à 750 m au NNE de la Bérarde. Selon Pierre Verry, chef du service RTM (Restauration des Terrains de Montagne) de l'Isère, la catastrophe de la Bérarde pourrait être la conséquence de cette vidange, en association avec des cumuls de pluie significatifs, une fonte des neiges accélérée et une alimentation du torrent en aval par des blocs de pierre et de débris divers arrachés par le courant. La chronologie exacte des événements est toutefois indéterminée, car l'heure exacte de vidange du lac reste inconnue (l'un des derniers clichés date du 18 juin 2024).

A la suite d'un complément d'exploration glaciaire mené à l'automne*, Eric Larose (Chercheur CNRS à l’Institut des Sciences de la Terre à Grenoble) livre les premières conclusions scientifiques sur la structure du lac supraglaciaire après la catastrophe. Son analyse vise également à comprendre plus largement l'impact visuel de la vidange régulière du lac sur le glacier, l'objectif étant d'anticiper une éventuelle récidive*. Certaines parties du glacier, situées en aval du lac vidangé, apparaissent effectivement modifiées : effondrement partiel du toit de glace, apparition de cavités, volumes de glace manquants, nombreux éboulis*. Ces modifications profondes de l'état du glacier confortent l'hypothèse d'une vidange brutale du lac supraglaciaire qui aurait mené à la catastrophe.

analyse complète sur le site Alpinemag : premières conclusions de l'exploration glaciaire pour trouver l'origine de la catastrophe

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Vue aérienne de la Bérarde et du glacier de Bonne Pierre, le 17 juin 2024. Lac supraglaciaire cerclé de rouge © Sentinel-2 L2A

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

La même vue le 27 juin 2024. Vidange du lac et conséquence des laves torrentielles : au confluent des torrents des Etançons et de Bonne Pierre, puis à celui du torrent de Etançons et du Vénéon. Accélération de la fonte des neiges © Sentinel-2 L2A

Analyse de la situation météorologique

L'épisode pluvieux du 19 au 21 juin 2024 sur les Alpes a été la conséquence de l'isolement d'un minimum d'altitude à proximité du Portugal. Sa remontée très lente en direction du sud-ouest de la France a maintenu pendant 3 jours sur les Alpes françaises un flux de SO puis de SSO très rapide, associé à un courant-jet :

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Vent moyen à 250 hPa et Z250, le 19 juin 2024 à 00h TU. Données ERA5. © KERAUNOS

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Vent moyen à 250 hPa et Z250, le 20 juin 2024 à 00h TU. Données ERA5. © KERAUNOS

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Vent moyen à 250 hPa et Z250, le 21 juin 2024 à 00h TU. Données ERA5. © KERAUNOS

En basses couches, c'est une masse d'air tropicale, très douce et très humide, qui est advectée depuis l'Afrique du Nord et la Méditerranée (hautes de valeurs de thêta'w à 850 hPa ci-dessous). Cet afflux continu d'air chaud a contribué à une rapide fonte du manteau neigeux en altitude :

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Thêta'w, vent à 850 hPa et Z850, le 19 juin 2024 à 00h TU. Données ERA5. © KERAUNOS

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Thêta'w, vent à 850 hPa et Z850, le 20 juin 2024 à 00h TU. Données ERA5. © KERAUNOS

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Thêta'w, vent à 850 hPa et Z850, le 21 juin 2024 à 00h TU. Données ERA5. © KERAUNOS

L'analyse détaillée via le modèle ARW 3 km en configuration reforecast confirme que le soulèvement orographique et dynamique se sont nettement renforcés en fin de journée du 20 juin et la nuit suivante, grâce aux effets conjoints d'un puissant jet à 700 hPa (ci-dessous à gauche) et d'une forte instabilisation des profils verticaux (ci-dessous à droite). Cet axe de vent violent vers 3.000 mètres d'altitude a fait converger vers les Alpes une masse d'air surchargée en humidité et assuré des salves pluvieuses répétées, tandis que les valeurs de MUCAPE, qui ont dépassé 2000 J/kg en soirée, ont permis une évolution orageuse localement marquée sur les reliefs. L'ensemble a dessiné une situation particulièrement propice aux fortes pluies orageuses sur les Alpes.

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

Vent moyen à 700 hPa (vers 3000 m), le 20 juin 2024 à 21h TU. Run ARW 3 km initialisé sur ERA5 20.06.2024 00Z. © KERAUNOS

Lave torrentielle à la Bérarde (Isère) le 21 juin 2024

MUCAPE et MULI, le 20 juin 2024 à 16h TU. Run ARW 3 km initialisé sur ERA5 20.06.2024 00Z. © KERAUNOS