Observatoire français des tornades et orages violents

En Haute-Marne, les premiers foyers actifs se déclenchent après 13h30 TU (15h30 locales) au sud-ouest de Joinville, avant de se généraliser au nord puis à l'ouest du département en début de soirée. A Meures et dans les environs, une première offensive orageuse se met en place entre 16h TU et 17h TU (18h locales). D'une durée d'une heure, l'épisode est marqué par des précipitations intenses et quasiment stationnaires dans un rayon de 4 à 5 km autour du village, avec un cumul estimé entre 70 mm et 100 mm (ce cumul est totalement isolé à l'échelle du département).

Entre 20h TU et 21h30 TU (23h30 locales), une seconde dégradation orageuse généralisée balaie le même secteur. Associée à un MCS qui traverse tout le département de la Haute-Marne, cette dégradation présente des cumuls moins remarquables, mais qui s'ajoutent à l'épisode précédent. En l'espace de 6 heures, les lames d'eau estimatives dépassent les 100 mm à Meures, Sexfontaines, Annéville-la-Prairie, ainsi qu'à l'est de Juzennecourt et au nord de Sarcicourt (commune de Jonchery). 

Le graphique ci-dessous présente la chronologie des pluies observées sur la commune de Meures durant la journée du 20 juillet 2024, sur la base des données radar :

Le tableau ci-après détaille les lames d'eau supérieures à 80 mm dans le département de la Haute-Marne, toutes concentrées au nord-ouest de Chaumont, à l'exception de Poinson-lès-Grancey (estimation du cumul maximum de précipitations dans chaque territoire communal ; ce cumul peut varier au sein d'une même commune, selon son étendue) : 

Dans cet environnement de relief vallonné, les volumes d'eau déversés font rapidement réagir le ruisseau du Vazile qui traverse la commune de Meures. Grossi par d'importants ruissellements qui se déclenchent au amont du village (coteau de Sexfontaines, à 400 m d'altitude, puis au Val des Loups, au Val Jouy et au Val Gresseau), le ruisseau véhicule un débit considérable qui gagne rapidement le vallon situé une centaine de mètres en contrebas. En traversant le village de Meures, la crue est spectaculaire et accentuée par la rupture de plusieurs murailles de protection*. L'estimation de la hauteur de crue maximale est de 2m72 (source : Symdrones) pour ce ruisseau habitué à de très faibles débits. Sur les 69 foyers du village, une quarantaine est touché par l’afflux d’eau et de boue [Conseil Départemental de Haute-Marne], sans compter le nombre de véhicules emportés. Dans certaines maisons, l'eau atteint plus d'1m50. Une ferme aux escargots est détruite. Le village de Sexfontaines est également touché, mais sans commune mesure.

* le cours d'eau est partiellement comblé lorsqu'il traverse le village du NNO au SSE.

Aperçu de la crue du Vazile à Meures, quelques instants après le pic (le niveau est déjà redescendu de plusieurs dizaines de centimètres au moment de la vidéo) : 

Par suite d'une propagation de l'afflux d'ouest en est, et à l'issue du second épisode orageux, des inondations se produisent à Annéville-la-Prairie, Marault et Bologne. Vers 1 heure du matin, six routes départementales sont coupées, une soixantaine de foyers privés d'électricité et 34 personnes évacuées vers la salle des fêtes de Sexfontaines. Les secours ont dû réaliser 80 interventions, tandis que 5 personnes sont hospitalisées pour cause d'hypothermie [France Bleu]. Encore à 6 heures du matin, un courant d'une vingtaine de centimètres s'écoule en continu à Meures.

Les témoignages illustrent la puissance et le caractère soudain de cette crue hors norme : « Quand j'ai vu l'eau monter je suis sorti pour déboucher l'avaloir. Mais quand j'ai vu la vague arriver, j'ai ouvert la porte et j'ai dit à ma femme ''Viens, ne discute pas''. On a pris le chien et on s'est réfugiés chez notre voisin ». Un autre agriculteur raconte : « On se croirait dans une fiction. Le temps de traverser la maison en appelant les pompiers, j'avais déjà de l'eau jusqu'au cou. Quand on parlait on avait de la terre dans la bouche ». [La Voix de la Haute-Marne]. Dans une autre habitation située au coeur du village, un drame est évité de peu : une personne est sauvée in extremis, quelques instants avant l'écroulement des murs intérieurs de sa maison. Coincée par une épaisseur de boue qui l’empêchait de se déplacer, la victime pensait "ne pas pouvoir s’en sortir craignant d’être assommée ou noyée" [Conseil Départemental de Haute-Marne]. Autant de témoignages qui obligent la mise en place d'une cellule psychologique.

Par arrêté interministériel du 1er août 2024, 15 communes de Haute-Marne sont reconnues en état de catastrophe naturelle à la suite de cet épisode : Annéville-la-Prairie, Autreville-sur-la-Renne, Blaisy, Bologne, Brethenay, Colombey-les-Deux-Églises, Jonchery, Juzennecourt, Lachapelle-en-Blaisy, Lavilleneuve-au-Roi, Meures, Ormoy-lès-Sexfontaines, Oudincourt, Sexfontaines et Vaudrémont.

Photographies des principaux dommages à Meures, au lendemain de l'événement : 

La journée du 20 juillet 2024 est dominée par la présence d'un thalweg à l'ouest immédiat de la France. En haute troposphère, la branche de jet logée sur son flanc oriental s'étire en cours d'après-midi de l'Espagne à la Normandie ; le nord-est de la France se trouve ainsi en périphérie du jet, dans une situation de dorsale caractérisée par des vents faibles (ci-dessous à gauche). Ce contexte peu venté est aussi identifiable à l'étage moyen (ci-dessous à droite), avec un flux à courbure essentiellement anticyclonique sur la Haute-Marne ; les principaux forçages d'altitude sont nettement plus à l'ouest, aux abords de la Bretagne.

Dans le flux de SSO généré par cette configuration, une masse d'air d'origine tropicale remonte jusqu'au Benelux. On note une onde de très hautes valeurs de thêta'w à 850 hPa (ci-dessous à gauche) qui s'étire de l'Occitanie à la Lorraine, le long d'un axe de convergence préfrontal. La très forte teneur en humidité de cette masse d'air, associée à un contexte convergent en basses couches, est typiquement une situation propice aux très fortes pluies sous orages. Ceci d'autant plus que le champ de pression au sol est mou et anarchique (marais barométrique à tendance dépressionnaire, voir ci-dessous à droite).

C'est d'ailleurs le long de cet axe que l'instabilité latente est la plus forte, avec des valeurs de MUCAPE souvent supérieures à 1000 J/kg. On trouve ainsi tous les ingrédients propices à la formation d'orages virulents, peu mobiles car évoluant dans un environnement peu venté, et susceptibles de produire des pluies intenses compte tenu du caractère tropical de la masse d'air.