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Macrorafales de très forte intensité (D4) entre le Val de Morteau (France) et la Chaux-de-Fonds (Suisse) le 24 juillet 2023
Le 24 juillet 2023, en fin de matinée, un épisode de macrorafales de très forte intensité (D4) est observé entre le Val de Morteau (France) et la Chaux-de-Fonds (Suisse), où une personne meurt écrasée par la chute d'une grue. Le phénomène, qui traverse plusieurs territoires à forte densité de population, provoque des dégâts matériels très importants et de lourdes pertes dans des parcelles forestières. Ces puissantes macrorafales sont liées à un système convectif linéaire, producteur de rafales d'une part dans la Bresse, et d'autre part sur une trajectoire totale de 80 kilomètres entre le Jura et le canton de Neuchâtel.
Principales caractéristiques de la macrorafale
* intensité maximale : D4, soit des vents estimés entre 180 km/h et 220 km/h
* superficie touchée estimée : 150 km²
* principale(s) commune(s) traversée(s) : GRAND'COMBE-CHÂTELEU, MORTEAU, MONTLEBON, VILLERS-LE-LAC (Doubs, France) ; LE LOCLE, LA CHAUX-DE-FONDS (Canton de Neuchâtel, Suisse)
* département(s) : DOUBS (25), CANTON DE NEUCHÂTEL (SUISSE)
* altitude moyenne du terrain : 950 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés, territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels
* principaux dégâts : nombreux arbres déracinés et parcelles de forêts rasées ; toitures de bâtiments arrachées ; véhicules couchés ; pylônes électriques et caténaires tordus ou renversés ; clocher d'un temple décapité ; chute d'une grue de chantier ; nombreuses projections de débris ; nombreux bâtiments commerciaux et publics sinistrés
Trajectoire parcourue par les macrorafales
Trajectoire parcourue par les macrorafales du 24 juillet 2023 entre 7h45 TU (Fretterans) et 9h25 TU (la Chaux-de-Fonds). Les phénomènes d’accentuation extrême ne représentent parfois que quelques dizaines de mètres de largeur © Keraunos
Chronologie de l'épisode
L'épisode de macrorafales du 24 juillet 2023 dans le massif du Jura est en liaison avec la circulation d'une structure convective orageuse et linéaire, marquée par de fortes intrusions d'air sec.
Le système orageux, qui se forme en Auvergne en fin de nuit, aborde la Bourgogne en cours de matinée (7h30 TU, soit 9h30 locales), puis adopte un comportement progressivement linéaire à partir de la Saône-et-Loire. Une première macrorafale D2 est identifiée au coeur de cette ligne (Lays-sur-le-Doubs, Fretterans, Chaussin), avec des abres déracinés ou arrachés, des ballots de paille déplacés, des toitures endommagées.
Peu après 8h TU, les échos radar continuent de mettre en évidence des zones d'assèchement significatives entre le sud de Salins-les-Bains (Jura) et Levier (Doubs), mais cette fois-ci sur le bord d'attaque sud de la ligne. Au moins entre Aresches et Levier, des parcelles de forêts sont endommagées voire rasées, avec des dégâts sur les bâtiments. Cette zone semble correspondre à un deuxième épisode de macrorafales d'une intensité significative (D3), de quoi raviver le douloureux souvenir de la tornade EF4 du 2 juin 1982, notamment à Levier.
Vers 9h TU, la ligne est située entre Ouhans et la Chaux (Doubs), mais sans dégâts notables. Un troisième épisode de macrorafales semble débuter entre la Chaux et Gilley, jusqu'à atteindre son paroxysme à Grand'Combe-Châteleu, Morteau, Montlebon, Villers-le-Lac (Doubs), le Locle et la Chaux-de-Fonds (Suisse) entre 9h10 et 9h25 TU. Après 9h30 TU, le système s'évacue vers l'ENE en perd progressivement de son intensité venteuse, même si les précipitations restent abondantes. Les dommages (voir ci-dessous) correspondant à des macrorafales d'intensité D4 (bas de l'échelon en France, haut de l'échelon en Suisse).
Bien que les dégâts ne soient pas toujours continus, ils sont reliés à une même structure convective qui aura parcouru 80 kilomètres entre la France et la Suisse.
Des rafales proches de 220 km/h, une personne tuée et des dégâts importants
Les investigations de terrain, menées peu de temps après l'événement, mettent en évidence plusieurs couloirs de dégâts linéaires ou divergents, propres aux macrorafales de très forte intensité. Les multiples phénomènes d’accentuation extrême et très localisée ("burst swaths"), observés de part et d'autre de la frontière, se traduisent par des couloirs longs et étroits de dégâts, qui font penser à ceux laissés par les tornades, même si aucun phénomène tourbillonnaire n'a été mis en évidence. L'influence du relief explique aussi certaines de ces accentuations.
Les photographies suivantes illustrent bien le phénomène, qui ne présente aucun signe de rotation, mais au contraire un ensemble linéaire, compact et à forte composante descendante, étalé à sa base sous l'influence du contact des rafales avec le sol :
Les nombreuses vidéos consacrées au phénomène sont spectaculaires, par l'effet combiné du caractère remarquable des vents et de l'environnement urbain. L'une d'entre elles prend un caractère dramatique, car on y voit l'effondrement d'une grue de chantier, installée entre la gare et le bureau de poste de la Chaux-de-Fonds. Dans sa chute, elle écrase une voiture où périt un automobiliste :
Une enquête de terrain a pu être réalisée par Ilyes Ghouil (Météo Franc-Comtoise) pour le secteur le plus sinistré. Ses observations, complétées par de nombreux autres témoignages depuis le département français du Jura, jusqu'à la Chaux-de-Fonds en Suisse, permettent d'attester de macrorafales de très forte intensité (D4), sur l'échelle des downbursts élaborée par Keraunos. Après analyse des dommages les plus sévères, il apparaît que les vents ont ponctuellement atteint ou dépassé 180 km/h côté français (Montlebon, Villers-le-Lac), et plus généralement entre 200 km/h et 220 km/h côté Suisse, en particulier dans le secteur de Crêt du Locle à la Chaux-de-Fonds. Ces estimations établies à partir des dégâts au niveau du sol sont en cohérence avec le relevé de la station météorologique suisse des Eplatures (217,4 km/h), secteur qui a observé les dégâts parmi les plus importants de l'épisode.
Côté français, dès le Val de Morteau (Doubs), les rafales s'accentuent et les dommages se généralisent aux bâtiments, où plusieurs toitures sont arrachées et des pans de forêts rasés jusqu'à la frontière (Grand'Combe-Châteleu, Morteau, Montlebon, Villers-le-Lac). A Montlebon, les bâtiments sont touchés au nord de la commune, tout comme la toiture de l'église. Plusieurs coteaux de la vallée du Doubs sont sévèrement atteints entre Montlebon et Villers-le-Lac. Le couloir de dégâts est particulièrement étroit dans ce secteur.
Côté Suisse, le phénomène gagne en intensité et atteint le haut de l'échelon D4 ; il traverse le nord du Locle, puis la Chaux-de-Fonds par Crêt du Locle. De nombreuses toitures sont arrachées, des pylônes électriques tordus ou renversés, des caténaires arrachés. Dans la zone d'activité de Crêt du Locle et aux Eplatures, les toitures des entreprises sont soufflées et de nombreux éléments de façade arrachés et projetés à distance. Plusieurs véhicules sont déplacés par le vent, quand ils ne sont pas renversés. Dans le périmètre du cimetière, des monuments funéraires sont couchés par le vent, et le clocher du temple voisin est arraché. Ces dégâts se produisent à quelques centaines de mètres de la station météorologique qui relève 217,4 km/h à ce moment précis. Dans l'agglomération de la Chaux-de-Fonds proprement dite, les dégâts concernent près de deux bâtiments sur trois : toitures arrachées, lourdes pièces de couvertures détachées et projetées à distance, arbres couchés ou sectionnés. Plusieurs parcs publics sont dévastés, notamment près de la gare. C'est également dans ce périmètre qu'une grue de chantier s'effondre entre la place de la Gare et la rue Daniel-Jeanrichard, provoquant la mort d'un automobiliste. On observe par ailleurs de très fortes projections, les objets étant durablement traînés ou emportés dans le sens des rafales, parfois sur plusieurs centaines de mètres.
On note enfin des dégâts tout aussi importants dans de nombreuses parcelles forestières, mais aussi dans les territoires ruraux du Locle et de la Chaux-de-Fonds, où de nombreuses fermes sont également touchées. L'évasement progressif du phénomène, avant sa dissipation, explique également les multiples couloirs de dégâts observés sur le terrain.
Illustration des principaux dommages entre Lays-sur-le Doubs (Saône-et-Loire) et la Chaux-de-Fonds (Suisse) :
La Chaux-de-Fonds (Suisse) - Ce qu'il reste de certaines entreprises de la zone d'activité de Crêt-du-Locle © Météo Franc-Comtoise
La Chaux-de-Fonds (Suisse) - Les Eplatures - Poids lourd renversé, monuments funéraires couchés par le vent et clocher du temple des Eplatures arraché © Météo Franc-Comtoise
La Chaux-de-Fonds (Suisse) - Aperçu de la grue effondrée, place de la Gare, avec un véhicule incendié © Giovanni Sammali
La Chaux-de-Fonds (Suisse) - Structure de l'un des kiosques du parc des Crêtets, pliée, et végétation saccagée © L'Est Républicain
La Chaux-de-Fonds (Suisse) - Vue aérienne des dommages dans le parc des Crêtets, avec des sens de chute caractéristiques de rafales descendantes A droite, l'un des deux kiosques endommagé près de la rue de la Croisée © Rts.ch
Analyse de la situation météorologique
L’épisode orageux qui a concerné le Jura le 24 juillet 2023 s’est formé au sein d’un rapide flux de sud-ouest, piloté par un thalweg en cours d’approche par l’Atlantique. Deux branches de jet parallèles sont en position en matinée : la première de Gibraltar à la plaine du Pô, la seconde de Lisbonne à l’Allemagne, avec jet-streak sur la Rhénanie. Dans cette configuration, la Franche-Comté se situe en fin de matinée dans un contexte fortement diffluent en altitude, en sortie gauche / entrée droite simultanée des deux branches de jet.
Les forçages associés sont renforcés par la circulation rapide d’un thalweg secondaire de courte longueur d’onde, qui remonte d’Auvergne en fin de nuit. Il concentre des développements orageux localement puissants, situés avant l’aube dans le Massif Central puis en Franche-Comté en cours de matinée.
Vent moyen à 250 hPa et Z250 le 24 juillet 2023 à 09h TU. Modèle WRF 10 km Europe, run du 24.07.2023 00Z. © KERAUNOS
Z500 et tourbillon relatif à 500 hPa le 24 juillet 2023 à 09h TU. Modèle WRF 10 km Europe, run du 24.07.2023 00Z. © KERAUNOS
Au sol, le contexte est dépressionnaire avec un minimum principal positionné sur le nord du Danemark, qui s’étire d’une part jusqu’aux côtes de la Manche en un long thalweg de surface, et d’autre part de manière plus anarchique par un creux de pression de la Rhénanie jusqu’à la vallée du Rhône. La convergence induite constitue un axe préfrontal de l’Auvergne et de la Franche-Comté jusqu’à l’Alsace en matinée, en amont d’une limite frontale (front froid) qui s’enfonce vers la Champagne, le Centre et l’Aquitaine. Dans cette zone, la masse d’air est d’origine tropicale en basses couches, comme en témoigne la langue de thêta’w > 18°C à 850 hPa sur tout l’est du pays.
Pression réduite au niveau de la mer le 24 juillet 2023 à 09h TU. Modèle WRF 10 km Europe, run du 24.07.2023 00Z. © KERAUNOS
Thêta'w et vent moyen à 850 hPa le 24 juillet 2023 à 09h TU. Modèle WRF 10 km Europe, run du 24.07.2023 00Z. © KERAUNOS
Dans ce contexte, l’instabilité est forte dès le matin en Franche-Comté. Un reforecast à haute résolution, effectué avec le modèle WRF-ARW 3 km initié sur les données ERA5 du 24.07.2023 à 00Z, met ainsi en évidence une instabilisation rapide et forte des profils verticaux des Cévennes au Jura, avec une MUCAPE qui approche localement 1500 à 2000 J/kg (ci-dessous à gauche). Une crête de hautes valeurs de gradient thermique vertical à l’étage moyen circule par ailleurs au même moment en Franche-Comté, tandis que des advections sèches se présentent conjointement en altitude par l’ouest de la région. L’ensemble génère des valeurs de DCAPE fortes pour une situation matinale (> 600 J/kg).
MUCAPE et MULI le 24 juillet 2023 à 09h TU. Reforecast WR-ARW 3 km initialisé sur ERA5 du 24.07.2023 00Z. © KERAUNOS
DCAPE le 24 juillet 2023 à 09h TU. Reforecast WR-ARW 3 km initialisé sur ERA5 du 24.07.2023 00Z. © KERAUNOS
L’ensemble a constitué un environnement favorable à une intensification de la convection, d’autant qu’un minimum secondaire de surface a transité sur la région au même moment et accentué les forçages d’échelle synoptique déjà présents.
L’organisation du système convectif préexistant montre une évolution rapide et nette lors de son arrivée dans le Val de Saône, en quittant les reliefs du sud du Morvan. Il s’organise alors en un bow echo, sans doute en raison de son arrivée dans une zone de convergence de basses couches renforcée par les effets de canalisation de la vallée de la Saône. Les courants descendants se renforcent alors très nettement lorsque la structure arquée pénètre dans le département du Doubs ; elle développe en son sein un RIJ (Rear Inflow Jet), qui pointe vers le sud de la ligne convective et vient s’étaler au sol au niveau du bord d’attaque sud-est du système. Ce RIJ, malgré des interactions croissantes avec les reliefs qui s’accentuent, reste identifiable, massif et persistant jusqu’au passage de la frontière suisse, et provoque à son passage des rafales particulièrement sévères au niveau du sol.
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