Série de macrorafales (derecho) entre Bourgogne, Lorraine et Benelux le 16 septembre 2015
Une dégradation orageuse a généré de puissantes macrorafales entre Bourgogne, Champagne, Lorraine et Benelux le 16 septembre 2015.
Notons que sur l'ensemble des dégâts expertisés, et avec l'appui des enquêtes de terrain menées par Kévin Leclercq, Yohan Denis et Vincent Quennouelle, aucun axe de convergence, ni aucun élément permettant d'identifier le passage d'une tornade n'a pu être mis en évidence sur les différentes zones sinistrées. Les dommages observés, par leur organisation et leurs caractéristiques, sont typiques de ceux produits par des rafales descendantes.
Dégâts dus au vent le 16 septembre - Végétation endommagée à Villers-sur-Meuse (55) © Damien Sanon
De puissantes macrorafales ont frappé plusieurs départements du nord-est de la France le 16 septembre 2015 entre 14h30 et 17h30 locales. Cet épisode orageux avec rafales descendantes en série répond aux critères du derecho.
Principales caractéristiques du derecho
* intensité maximale : vents maximum estimés entre 150 et 180 km/h, ponctuellement plus en Meuse
* régions françaises concernées : BOURGOGNE, CHAMPAGNE-ARDENNE, LORRAINE
* principaux dégâts : nombreux arbres (parfois des parcelles entières) abattus ou brisés net ; pylones métalliques supportant une ligne à haute tension couchés ; cultures sérieusement endommagées ; toitures partiellement ou totalement arrachées et cheminées emportées ; clochers d'église déplacés ou fortement endommagés, hangars agricoles endommagés ; trampoline emporté par le vent, véhicules (automobiles ou poids-lourds) retournés
* victimes : une personne de 92 ans décédée suite à la chute d'une toiture de grange à Thieffrain dans l'Aube, cinq personnes blessées dans la Meuse, dont une grièvement.
Des dégâts sur plus de 400 km entre Nièvre, Luxembourg et Belgique
Les investigations réalisées par Keraunos, complétées par des témoignages et des informations issues de la presse locale, permettent de conclure à plusieurs phénomènes de micro ou macrorafales entre l'extrême nord de l'Allier, la Nièvre, l'Yonne, l'Aube, la Haute-Marne, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle puis une partie de la Belgique et du Luxembourg.
Les violentes rafales de vent ont débuté dès l'organisation d'un système orageux virulent aux confins de la Nièvre. Entre 14h et 14h30 locales, on observe ainsi les premiers dégâts et les premières rafales supérieures à 90 km/h dans la Nièvre, notamment sur l'agglomération de Nevers et au nord de la ville (jusqu'à 135 km/h à Clamecy, 110 km/h à Prémery) .
Environ 1h plus tard, le parc du château d'Ancy-le-Franc dans l'Yonne est sevèrement touché avec une soixantaine d'arbres abattus par le vent.
Vers 16h00, les violentes rafales gagnent une bonne moitié est du Parc Naturel Régional de la Forêt d'Orient dans l'Aube, frappant plus particulièrement le secteur de Bossancourt. Une rafale à 95 km/h est par ailleurs relevée à Mathaux en bordure ouest de l'axe le plus sévèrement touché. Une autre valeur à 110 km/h est enregistrée à Celles-sur-Ource (10).
C'est ensuite vers 16h30 locales que de nombreux dégâts se produisent au sud de Saint-Dizier en Haute-Marne (secteur de Wassy plus particulièrement). Dans la continuité, de violentes rafales descendantes (micro- et macrorafales) se déclenchent sur le sud de la Meuse, infligeant de sérieux dommages sur les communes de Robert-Espagne et Trémont-sur-Saulx.
Le système orageux progresse ensuite vers le nord, gagnant la frontière luxembourgeoise. Côté français, des dommages significatifs sont reportés dans la région de Villerupt (54) puis sur le sud-est de la Belgique (115 km/h relevés à Buzenol), le sud et le centre du Luxembourg et enfin jusqu'à la région de Spa (BE).
On observe au cours de cet épisode venteux une évolution spatio-temporelle bien définie. En environ 4 heures, sur un axe long de plus de 400 km et large d'approximativement 20 à 40 km, plusieurs violentes rafales de vent supérieures à 90 km/h se produisent. Parmi ces valeurs relevées ou estimées, au moins trois ont dépassé 120 km/h et sont systématiquement distantes d'au moins 64 km.
De fait les critères du derecho sont remplis entre la Nièvre, le sud-est de la Belgique et le Luxembourg.
Notons que sur l'ensemble des dégâts expertisés, et avec l'appui des enquêtes de terrain menées par Kévin Leclercq, Yohan Denis et Vincent Quennouelle, aucun axe de convergence, ni aucun élément permettant d'identifier le passage d'une tornade n'a pu être mis en évidence sur les différentes zones sinistrées. Les dommages observés, par leur organisation et leurs caractéristiques, sont typiques de ceux produits par des rafales descendantes.
La carte ci-dessous synthétise l'épisode venteux et les principales communes touchées sur un axe de plus de 400 km. D'autres dégâts venteux plus ponctuels et plus tardifs ont été observés à l'est de cet axe, entre Côte-d'Or, Saône-et-Loire, Haute-Saône et Moselle d'une part, sur la Marne et le sud des Ardennes d'autre part.
© Keraunos
Des rafales sous orage jusqu'à 180 km/h dans la vallée de la Saulx (55)
Au cours de son déplacement, le système orageux a généré des dégâts plus significatifs en différents points, et notamment au moment où un petit système dépressionnaire secondaire (méso-dépression) est arrivé à maturité entre Haute-Marne et Meuse.
On identifie ainsi un premier secteur fortement touché à Bossancourt (10) et ses environs, où plusieurs dizaines d'habitations ont vu leur toiture arrachée. Le clocher de l'église a été fortement endommagé et plusieurs parcelles de bois sont partiellement ou totalement détruites (comme au château de Bossancourt). Les rafales de vent y sont estimées voisines de 150 km/h.
D'autres virulentes rafales descendantes ont sérieusement endommagé plusieurs communes au sud immédiat de Saint-Dizier en Haute-Marne, puis à nouveau sur le secteur de Robert-Espagne dans la Meuse. L' enquête de terrain menée par Kévin Leclercq montre des dégâts particulièrement sévères et les plus fortes rafales de vent sont estimées à plus de 180 km/h en vallée de Saulx.
Quelques clichés de dégâts sont présentés ci-après depuis la Nièvre jusqu'à la Meurthe-et-Moselle. On identifie notamment sur la vue aérienne de Bossancourt (cliché n°3) une divergence très nette dans le sens de chute des arbres, typique des rafales descendantes de type micro- et macrorafales.
Un vaste système orageux venteux qui circule rapidement
L'image radar des précipitations entre 15h et 18h locales présentée ci-dessous illustre parfaitement la vitesse avec laquelle les orages se sont organisés à partir de la région Centre. Rapidement, les échos de précipitations deviennent virulents et s'organisent en ligne à partir de l'ouest de la Bourgogne et du sud de la Champagne.
On observe alors très vite un creusement méso-dépressionnaire qui a favorisé la constitution de "vagues", ce que l'on appelle LEWP pour Line Echo Wave Pattern. Ce creusement dépressionnaire est associé à un RIJ (rear inflow jet) qui se développe à partir de Saint-Dizier et reste en place jusqu'en Belgique. Tout ceci contribue à accélérer les rafales descendantes qui peuvent alors dépasser 150 km/h, comme ce fut le cas entre Champagne et Lorraine par exemple.
Analyse des conditions météorologiques
Comme le montre le champ ci-dessous à gauche, issu du modèle WRF 13 km Europe, un très rapide flux sud-ouest est en position ce mercredi 16 septembre 2015 sur la France, en altitude, à l’avant d’un thalweg très dynamique qui approche par l’Atlantique. Les régions du nird-est se trouvent dans une configuration de sortie gauche d'une rapide de jet arrivant du sud-ouest et pointant à près de 250 km/h vers 10.000 m d'altitude. Conjointement, à l'étage moyen, un thalweg thermique bien dessiné aborde le littoral Atlantique par le Golfe de Gascogne (ci-dessous à droite) :
La circulation simultanée d'une onde de hautes valeurs de thêta en basses couches du sud-ouest au nord-est de la France (advections d'air chaud et humide) a contribué à instabiliser les profils tout en accentuant les cisaillements de vent dans les premiers kilomètres de l'atmosphère. Le modèle simule ainsi une MUCAPE proche de 1500 J/kg et un MULI de -5K sur la zone (valeurs les plus élevées sur la France) :