Pluies exceptionnelles dans le Midi de la France durant l'automne 1907
Durant l’automne 1907, des précipitations exceptionnelles sont enregistrées dans le sud de la France, et plus particulièrement sur le Languedoc-Roussillon et le sud du Massif Central. Le bilan humain est lourd : au moins 25 morts et de nombreux disparus.
Ce qu'il reste du village du Pouzin (Ardèche), après la crue éclair de l'Ouvèze des 8 et 9 octobre 1907. © Keraunos
La fin de l'année 1907 reste dans les annales météorologiques comme l'une des plus pluvieuses sur le sud du pays : entre le 12 septembre et le 12 novembre 1907, pas moins de 10 épisodes méditerranéens se succèdent sur le midi de la France. C'est ce qui ressort d'une étude réalisée par Keraunos à l’appui des données de précipitations de l'époque, ainsi que des données reconstituées par réanalyses sur l’ensemble de la saison. Ces pluies répétées affectent majoritairement l’Hérault, le Gard, la Lozère et l’Ardèche, mais aucun des départements de la zone climatique méditerranéenne n'est réllement épargné par cette succession exceptionnelle d'épisodes pluvio-orageux intenses.
Principales caractéristiques de l'automne 1907
* lames d'eau maximales : jusqu'à 2.311 mm au Mont-Aigoual (1567 m, Gard), 2.232 mm à Villefort (597 m, Lozère) et 1.983 mm à Saint-Bauzille-de-Putois (138 m, Hérault) ; 20% des 274 stations pluviométriques disponibles pour cet événement totalisent plus de 1000 mm
* bilan humain : au moins 25 morts et de nombreux disparus
* départements les plus sinistrés : ARDÈCHE (07), GARD (30), HÉRAULT (34), LOZÈRE (48)
* autres départements touchés : ALPES DE HAUTE-PROVENCE (04), ALPES-MARITIMES (06), AUDE (11), AVEYRON (12), BOUCHES-DU-RHÔNE (13), CORSE-DU-SUD (2A), HAUTE-CORSE (2B), DRÔME (26), PYRÉNÉES-ORIENTALES (66), TARN (81), VAR (83), VAUCLUSE (84)
* principaux cours d'eau affectés par des crues (liste non exhaustive) :
- département de l'Ardèche : Ardèche, Ay, Cance, Chassezac, Déôme, Dunière, Eyrieux, Liopoux, Loire, Merdarie, Mialan, Ouvèze, Volane
- département du Gard : Cèze, Gardon, Rhône, Vidourle
- département de l'Hérault : Ensigaud, Gravezon, Hérault, Lène, Lergue, Lez, Libron, Orb, Peyne, Quarante, Thongue, Verdanson
- département de la Lozère : Chapeauroux, Lot, Mimente, Tarn
Un automne exceptionnellement pluvieux
L'automne 1907 est marqué par un excédent de précipitations remarquable sur une large moitié sud de la France, et plus particulièrement autour de la Méditerranée. Les totaux pluviométriques, considérés comme exceptionnels à l’époque, font encore référence plus d’un siècle plus tard. Localement, les cumuls approchent ou dépassent 2.000 mm en l’espace de 60 jours dans les Cévennes, la Margeride et le Velay, ainsi que de manière isolée dans le nord de la plaine de l’Hérault.
Parmi le réseau des 274 stations météorologiques installées dans la zone climatique méditerranéenne à l'époque, le total pluviométrique dépasse 1.000 mm dans 20% des postes et 500 mm dans 69% des postes. Ce fait est d'autant plus remarquable qu'il est observé aussi bien en plaine qu'en zone de relief (l'altitude moyenne du réseau n'est que de 418 mètres). En moyenne, il tombe environ 3 fois plus de pluie que la normale, localement 4 fois dans certaines vallées cévenoles, l'est de la Lozère et au sud-ouest de l'Ardèche.
Cumul de précipitations des 20 stations les plus arrosées durant l'automne 1907 :
Le bilan humain est lourd : au moins 25 personnes périssent noyées, emportées par des crues éclair pour l’essentiel. De nombreux troupeaux, cernés ou engloutis par les eaux, meurent de faim ou par noyade. Les pertes matérielles sont également incalculables : ponts emportés, voies de communication arrachées, vignobles et cultures détruites (par la grêle ou les inondations), maisons et entreprises dévastées… Ces pertes viennent s’ajouter au désespoir d’un grand nombre de vignerons frappés par la grande crise viticole languedocienne. En certains points, les cours d’eau débordent à 10 reprises, ce qui finit par entraîner des inondations presque continues, notamment dans les plaines héraultaises et à proximité du Rhône.
L’énorme quantité d’eau déversée sur les reliefs auvergnats entraîne, dès la mi-octobre, des inondations généralisées qui se répercutent sur d’autres fleuves français, comme le Lot, le Tarn ou la Loire qui connaît l’une des pires crues du XXe siècle. En témoigne le pont d’Andrézieux (Loire) dont le tablier, accroché à des piliers fragilisés par le débit du fleuve, s’effondre définitivement le 17 octobre.
Début novembre, les sols saturés ne contiennent plus les précipitations, qui font déborder les cours d'eau et les grandes plaines viticoles à la moindre journée de pluie. Certaines villes restent inondées et isolées pendant près d'une semaine. En Lozère, des lacs se forment naturellement dans certaines vallées.
Après le 12 novembre, les précipitations s'estompent temporairement, avant de reprendre en décembre mais dans des proportions moindres.
Cinq épisodes majeurs et meurtriers
Sur la période, cinq épisodes méditerranéens remarquables sont recensés, dont trois sur le seul mois d'octobre qui devient le mois le plus arrosé de la saison (jusqu'à 1.000 mm à Villefort en Lozère) :Cumul de précipitations des 5 stations les plus arrosées en septembre, octobre et novembre 1907 :
- 25-28 septembre : au moins 400 mm à Lasalle (Gard) le 26 septembre ; pluies abondantes et crues éclair, surtout dans le Gard et l'Hérault ; gros dégâts à Servian (1 mort), Montagnac, Saint-Thibéry et Pézenas (Hérault); à Sommières et Quissac (Gard) :
- 8-9 octobre : pluies exceptionnelles en Lozère et en Ardèche (jusqu'à 519 mm à Privas en 24 heures) ; crues éclair de plusieurs affluents du Rhône ; très gros dégâts au Pouzin (6 morts), à Sarras et à Saint-Péray (Ardèche) ; 1 mort à Saint-Brès (Gard) :
- 12-13 octobre : pluies orageuses sur l'Aude et les Pyrénées Orientales ; crue catastrophique et meurtrière du Tech et de ses affluents (10 morts) ; dégâts dans la plaine de l'Aude ; inondations qui se poursuivent dans l'Hérault et le Gard :
- 15-17 octobre : pluies orageuses généralisées ; tornade à Villeveyrac (Hérault) le 16 ; crues et dégâts dans l'agglomération de Montpellier, inondations dans la plaine de l'Hérault ; crue du Gardon et dégâts à Alès, 2 morts à Pont-Saint-Esprit (Gard) :
- 6-9 novembre : pluies orageuses généralisées ; inondations à Narbonne (Aude) ; 250 mm en quelques heures à Béziers (2 morts et 2 disparus), crues éclair en Aveyron ; gros dégâts à Montagnac (Hérault) ; lames d'eau remarquables le 8 dans les Bouches-du-Rhône (2 morts à Marseille) ; inondations dans le Vaucluse le 9 ; persistance des pluies jusqu'au 12 novembre et des inondations jusqu'au 15 :
Le tableau ci-dessous synthétise les lames d'eau les plus remarquables relevées parmi les 274 stations qui figurent dans le périmètre d'étude :
Analyse des conditions météorologiques
Les réanalyses NOAA/ESRL, même si elles ne fournissent qu’une reconstitution approximative de la situation synoptique de l’époque, permettent de mettre en évidence la récurrence remarquable durant l'automne 1907 d'un flux de sud à sud-est en basses couches sur les régions méditerranéenns, générant de ce fait un contexte durablement très instable, humide et dépressionnaire. L'analyse des cinq principaux épisodes détaillés ci-dessus témoigne de cette configuration persistante et répétée, typique des épisodes pluvio-orageux intenses sur ces régions.
Chacun de ces cinq épisodes est illustré ci-dessous avec 3 cartes qui présentent la configuration du flux en altitude, les caractéristiques du flux en basses couches, et l'instabilité de la masse d'air :
Configuration synoptique du 26 septembre 1907. Données NOAA/ESRL. © Keraunos
Conclusion
Compte tenu des lames d'eau observées sur la saison, l'automne 1907 figure parmi les plus remarquables depuis plus d'un siècle sur cette région et sur le massif des Cévennes en général. Ce fait est d'autant plus vrai qu'il concerne une très large moitié sud du pays, y compris certaines zones de littoral et de plaine habituellement moins exposées.
Même si les incertitudes de mesure de certaines stations pluviométriques (données sous-estimées, modifications d'emplacement) rendent l'analyse comparative difficile avec d'autres années très pluvieuses et qui bénéficient de relevés incontestables, et même si les années 1900, 1933, 1940, 1958, 1988 ou 2002 ont également connu des crues meurtrières dont certaines ont dépassé les niveaux de 1907, il ressort néanmoins que l'automne 1907 peut être globalement considéré comme une référence dans le sud de la France. En témoignent l'étendue géographique remarquable des inondations, la sévérité des dommages occasionnés et l'impact économique majeur causé par ces intempéries.