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La kéraunopathologie
Chaque année, la foudre tue ou blesse des dizaines de personnes en France. Les conséquences d'un foudroiement sont en effet souvent sévères, pour parties immédiates et pour partie différées dans le temps, et peuvent se manifester par des souffrances chroniques qui laissent les victimes de la foudre parfois désemparées.
Afin d'une part d'établir un recensement aussi complet que possible des cas de foudroiement, et d'autre part d'apporter une réponse sanitaire aux personnes en souffrance, plusieurs médecins français ont organisé des consultations spécialisées dans ce domaine de la kéraunopathologie. Afin de faire connaître ces initiatives, un partenariat a été établi entre KERAUNOS et le Pr. Christian VIRENQUE, de l'Université Paul Sabatier de Toulouse, spécialiste de ce thème.
Cette rubrique de kéraunopathologie a été développée en étroite collaboration avec le Pr. VIRENQUE, dans la continuité de son intervention sur ce thème lors du séminaire KERAUNOS 2011. Les explications relatives à cette discipline et aux conséquences d'un foudroiement sont ventilées en plusieurs thèmes, accessibles par le menu déroulant ci-dessous. Ces textes ont été rédigés par Ch. VIRENQUE, C. ARBUS (Laboratoire du stress traumatique UE4560 UPS), P. BIRMES (Laboratoire du stress traumatique UE4560 UPS) et J.LAGUERRE (Service des Grands Brûlés, CHU de Toulouse), et ont fait l'objet d'une publication dans Urgence pratique.
CONTACTS
+ Si vous êtes médecin et que vous souhaitez signaler un cas de foudroiement parmi vos patients, nous vous invitons à compléter ce formulaire, puis à le faire suivre au Professeur VIRENQUE.
+ Si vous êtes un particulier et que vous avez subi un accident lié à la foudre, vous pouvez contacter le Pr. VIRENQUE par mail.
Historique
Si, depuis 1752, la nature électrique de la foudre est établie par Benjamin Franklin, ce n'est que depuis une vingtaine d'années, qu’en France, les médecins ont trouvé un intérêt dans l'étude des foudroyés. Une des premières thèses consacrées à ce type d'accident est celle de Jacky Laguerre soutenue à Toulouse en 1975 (7). Par la suite, le docteur Élisabeth Gourbière, médecin à EDF (Electricité de France), acquiert une compétence mondiale dans ce domaine. Elle a su intéresser à ce type de pathologie des collègues cliniciens internistes et urgentistes à l’Hôpital Saint Antoine, ainsi qu’au SAMU 31 et 38.
C’est le congrès Foudre et Montagne, tenu à Chamonix en 1995, qui a marqué le début officiel de la Kéraunopathologie (4). Une enquête médiatique est alors lancée et nous enregistrons 140 réponses dont 104 sont exploitables. L’enquête débouche sur une seconde thèse toulousaine (2) qui établit le profil type du foudroyé survivant.
En fait, toutes ces réponses, outre le témoignage qu'elles apportent, montrent que, même s'il y a survie, de nombreuses complications et séquelles existent. Le groupe d'études décide en 1997 la création de consultations spécialisées pour accueillir les sujets en souffrance. Mais le décès d'Élisabeth Gourbière marque une pause dans l'étude qui ne sera réactivée qu’en 2011.
Qu'est-ce que le coup de foudre ?
De manière simplifiée, c'est une décharge électrique entre un nuage et le sol, ou entre nuages, avec transformation de l'énergie électrostatique atmosphérique en énergie électromagnétique manifestée par les éclairs et en énergie mécanique manifestée par le tonnerre (4). 100 millions de volts, 20 mille ampères, 30 000°C sont les chiffres caractéristiques du coup de foudre. Cette décharge ne dure, en fait, que de 1 µs à 1 ms. Cette durée est à rapprocher de celle de la période vulnérable du cœur (période de risque de survenue de la fibrillation), soit 10 ms en fonction de la fréquence cardiaque. La puissance mécanique du tonnerre développe plus de 10 bars à une distance de 5 m et peut atteindre un niveau acoustique de 130 dB.
En France, bien que la Direction de la Sécurité Civile ne recense pas ce type d'accident (inclus en fait dans les accidents de montagne), on évalue sa survenue à moins de 100 par an dont plus de 10 sont mortels. Il semble exister des variations annuelles importantes ; de plus, un certain nombre de ces accidents sont collectifs (5). Le nombre de foudroyés en milieu animal est probablement beaucoup plus élevé, et à l'origine de préjudices économiques sérieux.
Pathogénie
On retient classiquement quatre mécanismes de foudroiement (3) :
+ Le choc direct : la foudre « tombe » sur la tête, point culminant d'une personne debout. Le port d'un parapluie, d'un piolet etc. attire la foudre. Le courant traverse l'organisme jusqu'à un point de sortie situé au niveau du pied, si celui-ci est en contact direct avec le sol. Si le trajet passe par la cage thoracique, l’atteinte cardiaque est probable.
+ Le choc latéral est l'écoulement en dérivation de la foudre tombée à proximité, sur un arbre par exemple : la quantité d'énergie délétère est alors plus modeste. Le trajet de cet arc de contournement peut s'effectuer en surface du corps dans l'épaisseur cutanée et laisser des traces.
+ Le choc par contact avec un objet foudroyé : les points d'entrée et de sortie vont se constituer de manière visible.
+ La tension de pas est un mécanisme original qui reprend celui connu dans les électrisations à partir d'un conducteur à haute tension tombé à terre. Des différences de potentiel concentriques se constituent autour de l'épicentre. Tout sujet humain ou animal peut voir ses membres inférieurs (ou ses quatre membres pour les animaux) situés sur deux niveaux électriques ; un courant se constitue alors d'un membre à l'autre. En règle générale, le courant respecte le thorax, il est donc moins dangereux.
Physiopathologie
+ La foudre peut tuer d'emblée de manière lésionnelle. C'est l'énorme masse d'énergie reçue qui « coagule » le sujet ; un peu l'équivalent de l'exécution capitale par la chaise électrique. C'est aussi la projection physique suivie d'un traumatisme aux conséquences vitales immédiates, lésionnelles et fonctionnelles. Dans les deux cas il peut s'agir d'un diagnostic médico-légal.
La foudre tue aussi fonctionnellement par la fibrillation ventriculaire et l'arrêt circulatoire qui en découle. L'état de mort apparent dure environ trois à cinq minutes. En l'absence de circulation artificielle par massage cardiaque externe la mort réelle s'établit.
Autre situation, la perte de connaissance prolongée, suivie d'un coma et d'une asphyxie mécanique par obstruction des voies aériennes : chute de la langue en arrière, face contre terre etc., débouche en quelques minutes sur l'apnée puis l'arrêt cardio-respiratoire secondaire.
+ La foudre peut paralyser. Les kéraunoparalysies décrites par Charcot en 1890 touchent les membres inférieurs ou les quatre membres (9). Ces para ou tétraplégies sont souvent réversibles en quelques jours voire en quelques heures. Elles s'accompagnent fréquemment de troubles vaso-moteurs. Elles doivent être, bien sûr, différenciées des accidents vasculaires cérébraux parfois associés. Leur mécanisme n’est pas clairement établi. L'impotence fonctionnelle qu'elles génèrent peut empêcher la victime, si elle est isolée, de se déplacer pour donner l'alerte.
+ La foudre peut brûler. Elle brûle la peau aux éventuels points d'entrée et de sortie ; il s'agit alors de brûlures du troisième degré. La foudre brûle également de façon linéaire dans son trajet dermique et sous-cutané dans le cadre de l'arc de contournement. Les figures de Lichtenberg sont des tatouages éphémères en feuilles de fougère. Pour certains, elles seraient la conséquence du passage d’un courant en haute fréquence. Les objets métalliques au contact de la peau : montres, bijoux, boucle de ceinture, fermeture éclair etc. portés à incandescence par l’éclair « cautérisent » le derme. Nous n'avons pas d'expérience connue en ce qui concerne les pacemakers, les défibrillateurs ou les pompes placées en sous-cutané chez certains patients.
+ C'est aussi par brûlure que la foudre aveugle le patient : kératite par brûlure cornéenne, cataracte par brûlure du cristallin et rétinite se produisent soit d'emblée soit secondairement au bout d'un délai parfois prolongé.
+ Par contre l'atteinte auriculaire résulte du Blast créé par le tonnerre. La foudre assourdit. En fait outre la rupture tympanique, le traumatisme de la chaîne des osselets dans l'oreille moyenne génère également des syndromes vestibulaires donc des troubles de l'équilibre.
+ La foudre traumatise. L'échauffement de l'air compris entre les vêtements et la peau détermine une violente expansion cause de désintégration et d’éjection des vêtements. La puissance du blast provoque chute et/ou projection qui en fonction de l'environnement peuvent aboutir à un poly traumatisme. Ce blast peut également déclencher des lésions pulmonaires et cérébrales.
+ Enfin, la foudre, comme toute agression violente et intense, « stresse ». Les conséquences de ce stress traumatique sont celles observées dans des circonstances différentes et variées, tels les attentats, les explosions etc. Rappelons que l’explosion de l’usine toulousaine AZF a constitué un modèle expérimental de traumatisme psychologique. La sensation de mort imminente perçue par la victime est suivie d'un contrecoup psychologique.
Notons aussi pourtant le cas de foudroyés récidivistes, sorte de sujets en quelque sorte immunisés (et qui se glorifient par ailleurs souvent de cette résistance). Il semble, par ailleurs, que d'autres personnes bénéficient, après le coup de foudre, d'une optimisation de leurs capacités intellectuelles ou/et mentales ou encore d’ « effets thérapeutiques » tels que la repousse de la chevelure !
En pratique, il est très souvent impossible rétrospectivement de reconnaître le type précis de mécanismes mis en œuvre.
Dans les cas les plus graves, l'absence de témoins constitue pour la victime une perte de chance déterminante. Le rôle des témoins ou des personnes de passage est bien sûr essentiel dans le déclenchement de l'alerte. Mais l'emploi du téléphone, même portable, alors que l'orage perdure peut se révéler très dangereux.
En cas d'arrêt cardio-respiratoire et dans l'attente des secours, soit en moyenne une vingtaine de minutes, la pratique de la réanimation cardio-pulmonaire est évidemment basique jusqu'à ce qu'un défibrillateur automatisé externe soit branchable à la victime. Cette possibilité de plus en plus fréquente grâce aux appareils présents dans les VSAV des sapeurs-pompiers est un élément pronostique déterminant. Le diagnostic de la fibrillation ventriculaire par l'appareil puis l'administration d'un choc efficace permet de faire cesser la fibrillation.
Conduite à tenir
La médicalisation de secours avec, à la demande, le contrôle d'une voie veineuse, l'injection de sédatifs et/ou d'analgésiques, la perfusion de macromolécules, le contrôle des voies aériennes voire la respiration artificielle sécurisent la phase pré-hospitalière et le transport (10). Soins locaux sur les brûlures éventuelles, immobilisations dans un dispositif à dépression sont réalisés à la demande par les secouristes. La médicalisation du transport se discute avec la régulation du SAMU.
Un collectif de foudroyés peut justifier le déclenchement d'un plan rouge.
Le consensus est à présent acquis de l'intérêt d'une hospitalisation et d'une mise en observation pour 24 heures. Ceci permet de pratiquer systématiquement un électrocardiogramme, un examen O.R.L. et ophtalmologique. Cette hospitalisation permet aussi de constituer un dossier référentiel, élément de base pour le suivi médical et une éventuelle demande d'invalidité.
La kéraunopathologie en différé
L'enquête médiatique déclenchée en 1995 qui vient d'être renouvelée grâce à un questionnaire et un contact téléphonique auprès des foudroyés et de leur médecin de famille met en évidence un nombre important de complications et ou de séquelles survenant de façon plus ou moins retardée (2).
Au plan somatique, les problèmes d'ophtalmologie, d'O.R.L, de chirurgie plastique et d'orthopédie nécessitent une prise en charge pas toujours efficace. Les acouphènes, par exemple, comme ceux observés après une explosion, sont toujours difficiles à supprimer ou même à atténuer.
Au plan psychologique, les items recensés par les psychiatres sont très nombreux et très variés. Souvent associés, ils génèrent des difficultés relationnelles socio-familiales au minimum inconfortables, parfois majeures. Cependant, la prise en charge psychologique se révèle le plus souvent efficace. Les médecins généralistes, peu informés de ces aspects cliniques, peuvent se trouver désarmés pour y remédier.
Enfin, la dimension médico-légale, existe. La demande d'indemnisation face un foudroiement survenu au cours d'une activité professionnelle (par exemple sapeurs-pompiers en mission) peut être refusée par l'employeur.
Il est urgent d’informer le grand public de la possibilité de bénéficier d'une consultation spécialisée dans un des trois centres fonctionnant actuellement à Paris, Grenoble et Toulouse.
Conclusion
Retenons selon la formule de J.CABANE qu’« Après un coup de foudre, vous avez seulement une chance sur trois d’en mourir ». La Kéraunopathologie est aujourd’hui une réalité de mieux en mieux connue. Malgré l'aspect parfois surprenant de la symptomatologie observée, le foudroyé n’est pas un simulateur. Retenons également l'énorme progrès que devrait apporter l'usage de la défibrillation automatisée externe particulièrement adaptée dans les cas d'arrêt cardio-respiratoire observé après un coup de foudre.
Retenons enfin l'intérêt d’un observatoire permanent alimentant une base de données concernant les foudroyés.
Bibliographie
(1) CAUMON L. Les accidents de la fulguration Thèse médecine Clermont-Ferrand 1998(2) JEAN F. Les accidents de la foudre, connaissances actuelles A propos de 104 personnes foudroyées Thèse médecine Toulouse 1996
(3) GOURBIERE E., GARY C. Secours aux foudroyés, recommandations Association Protection Foudre 1995
(4) GOURBIERE E., LAMBROZO J., MENTHONNEX P, CABANE J., VIRENQUE C. Foudroyés en France, 1èrèe enquête nationale française Foudre et Montagne 97, Chamonix Mont-Blanc CA, SEE 1997, p 71 à 83
(5) GUIN P. Les accidents de le foudre A propos d’un cas de fulguration collective dans les Pyrénées Orientales Thèse médecine Montpellier 1997
(6) HERMANT A. Traqueurs d’orages Nathan 2000
(7) LAGUERRE J. Les accidents de la fulguration Thèse médecine Toulouse 1975
(8) MERMET L., VILLEDIEU-POIGNANT S.,VINCENT JF.,DUPONT P. La foudre : un phénomène redouté, des aspects cliniques méconnus Réanimation Urgences 2000,9,p367-373
(9) Atteintes neurologiques liées au foudroiement Cours de neurologie www.medix.free.fr
(10) Les effets de la foudre sur l’homme et les êtres vivants in La médecine de l’alpinisme Richalet JP, Herry JP Masson éditeur p 149-161