Analyse d’une série d’orages supercellulaires observés début mai 2023 aux Etats-Unis
La région des Grandes Plaines, aux Etats-Unis, constitue un laboratoire à ciel ouvert pour l’étude des orages. Les caractéristiques géographiques et climatiques de cette région, qui s’étire pour l’essentiel du Texas au Nebraska, fournissent en effet plus régulièrement qu’ailleurs des conditions propices à la formation d’orages intenses.
Keraunos s’y rend donc régulièrement, afin notamment d’y confronter diverses configurations de modèles de prévision à la réalité observée sur le terrain. Cela permet de disposer de situations orageuses de grande envergure qui servent de base, en retour, pour perfectionner un certain nombre de méthodes utilisées pour la prévision des orages, de la grêle et des tornades en France.
Une campagne de ce type a été organisée au début de ce mois de mai 2023. Elle a principalement été centrée sur le Texas, qui a offert des conditions propices aux supercellules pendant plusieurs journées consécutives. Un aperçu des observations réalisées à cette occasion est présenté ci-après.
Mardi 2 mai : supercellules très actives, avec vent violent et grêle
Une dorsale d’altitude s’étire depuis la veille du Texas aux Rocheuses, générant un contexte synoptique peu propice aux orages. Néanmoins, un thalweg de courte longueur d’onde pénètre sur le Nouveau-Mexique et l’ouest du Texas, où une convergence humide riche en instabilité se met en place. La convection se déclenche en cours d’après-midi, dans la zone de contact entre l’air sec stationné sur le Nouveau-Mexique et un afflux d’air chaud et humide en provenance du Golfe du Mexique.
Les cellules orageuses présentent une évolution explosive, notamment aux abords de Seminole où deux d’entre elles se structurent en supercellules. La phase de transition supercellulaire est accompagnée d’une violente aspiration au niveau du mésocyclone, qui déclenche une tempête de poussière dans un large périmètre. Les chutes de grêle associées atteignent localement 5 cm de diamètre, tandis que des pluies intenses provoquent des inondations. Des routes sont coupées.
La prévisibilité de cet épisode a été bonne, y compris par certains modèles à maille large.
Puissante cellule orageuse en cours d’intensification, avec alimentation par son flanc ouest (à droite) et enclume nette.
Fortes aspirations de poussière (à gauche) dans l’alimentation de la supercellule arrivant à maturité.
Mercredi 3 mai : transition d’une monocellule classique en supercellule
La configuration synoptique évolue peu, et une dorsale d’altitude maintient un contexte général peu propice aux orages violents dans la Tornado Alley. Néanmoins, comme la veille, un faible cyclonisme est présent sur l’ouest du Texas et le Nouveau-Mexique, et une cellule orageuse parvient à se former en bordure des Monts Davis, à 50 km à l’ouest de Saragosa. Son alimentation est greffée au relief pendant deux heures, et y fait du sur-place. Sous l’effet des courants descendants, elle finit toutefois par organiser une alimentation périphérique, et elle engage enfin un déplacement vers l’est. Un mésocyclone se développe alors et la monocellule évolue en supercellule active. Elle produit notamment de la grêle et des aspirations de poussière virulentes.
L’épisode a été bien appréhendé par les modèles en haute résolution, compte tenu de l’importance du relief comme initiateur de la convection ce jour-là. Le risque d’évolution supercellulaire après évacuation en-dehors du relief était également bien identifié.
Forte production de mamma sous l’enclume de la cellule, qui se propage sur plusieurs dizaines de kilomètres
La cellule évolue en supercellule classique ; développement en cours d’un courant descendant arrière, et fort soulèvement de poussière dans le prolongement du mésocyclone (nord de Saragosa).
Jeudi 4 mai : multiples supercellules, dont une brièvement tornadique
Des advections d’air tropical gagnent tout le Texas et l’instabilité s’établit à des niveaux assez marqués (MUCAPE voisine de 1500 J/kg). Dans le même temps, une dépression se creuse lentement entre le nord du Texas et l’ouest de l’Oklahoma, avec par conséquent une nette accentuation des cisaillements sur cette zone. Le potentiel supercellulaire et tornadique devient dès lors sensible, mais une forte nébulosité est présente sur ces deux Etats le matin, résidu des orages qui ont circulé la nuit précédente. La prévisibilité est donc médiocre, compte tenu de l’incertitude sur les déclenchements orageux dans ce contexte nébuleux.
Néanmoins, la convection s’active à la faveur de larges éclaircies qui se développent dans une zone de fort gradient horizontal de points de rosée (« ligne sèche »). Les déclenchements de convection se multiplient en cours d’après-midi, et plusieurs supercellules se développent sur le nord du Texas. Les mésocyclones des cellules en pointes sud sont les plus actifs, et l’un d’entre eux, associé à une supercellule HP, tente brièvement une phase tornadique. L’inspection des courants descendants avant et arrière témoigne d’une intense production de pluie et de fortes chutes de grêle. Cette cellule présente une activité électrique ininterrompue, particulièrement spectaculaire à la tombée de la nuit.
La forte sensibilité de la situation à l’échauffement diurne a produit de fortes divergences entre modèles et donc une prévision robuste uniquement à très courte échéance.
Puissante supercellule classique, avec nuage-mur bien structuré et colonne convective en rotation (sud-ouest d’Harrold).
Zone d’alimentation de la supercellule, avec succession de colonnes convectives de plus en plus profondes.
Rotation sous une nouvelle supercellule approchant d’une phase HP à Bellevue, au moment où elle présente au radar un « TVS » (Tornado Vortex Signature) avec un contact au sol confirmé à 15 km de la prise de vue.
La vidéo ci-dessous illustre l'intensité de l'activité électrique générée par cette supercellule :
Vendredi 5 mai : amorce supercellulaire
Le contexte devient plus dépressionnaire sur le sud des Grandes Plaines et l’instabilité devient très forte (MUCAPE > 3000 J/kg) avec des températures caniculaires (>35°C). Après une matinée très ensoleillée, la convection se déclenche à l’est d’une ligne sèche étirée sur l’ouest du Texas. Faute de cisaillements marqués, les orages se structurent principalement en monocellules et multicellules, avec toutefois des amorces supercellulaires ; l'une d'elles aboutit à un moteur droit très prononcé en pointe sud de la zone d’activité orageuse.
La convection s’est globalement déclenchée plus à l’ouest que prévu par les modèles, en raison d’une représentation inexacte des forçages de méso-échelle associés à la « dry-line ».
Amorce supercellulaire en cours d’organisation au sud-ouest de Dublin; un mésocyclone en cours de constitution est détecté à cet instant
Chute de foudre frappant à grande distance des courants descendants (l’impact est visible en bas à gauche).
Samedi 6 mai : trois supercellules successives, avec phases tornadiques approchées
Un flux de sud-ouest faiblement cyclonique concerne le sud des Grandes Plaines, tandis qu’une ligne sèche continue d’onduler sur l’ouest du Texas. Comme la veille, la convection se déclenche à l’est immédiat de cette zone de gradient d’humidité, dans un environnement extrêmement instable (MUCAPE de 4000 à 4500 J/kg) et particulièrement chaud (35°C à 37°C).
Trois foyers orageux distincts se forment en cours d’après-midi. L’un d’eux, plus actif, développe trois supercellules qui se côtoient sur une trentaine de kilomètres. Particulièrement actives, dotées de sommets très élevés et évoluant dans une masse d'air très fortement chargée en humidité, elles se succèdent dans les secteurs de May, d’Owens et de Brownwood en y provoquant un assombrissement extrême. Il fait nuit en plein jour et des phénomènes violents se déclenchent, qui justifient trois « tornado warnings » consécutifs.
Aucune tornade ne parviendra à se constituer complètement, mais les nuages-murs rotatifs sont massifs, et des chutes de grêle de 5 cm ainsi que des rafales de vent de 100 km/h à 120 km/h sont observées.
Chute de foudre positive au nord immédiat du nuage-mur (Lake Brownwood), rendu peu distinct en raison de rideaux de pluie périphériques.
Nuage-mur bombé, extrêmement bas et associé à une forte rotation cyclonique (Tornado Vortex Signature détectée au radar et « tornado warning » déclenché à Owens).
Nuage-mur massif et très abaissé, associé à la troisième supercellule ; il fait presque nuit en plein jour.
La vidéo ci-dessous montre un aperçu de l'arrivée de la troisième supercellule à Brownwood, accompagnée par les sirènes avertissant d'un "tornado warning" :