Observatoire français des tornades et orages violents

La tornade de Lestrem du 8 avril 2024 est issue d'une supercellule HP (voir analyse ci-après) qui a pu être interceptée par l'équipe de Keraunos dans le secteur d'Houdain (Pas-de-Calais) peu après 18h TU. Imprimant une rotation durable et significative entre Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de-Calais, 18h30 TU) et Wervik (Belgique, 19h45 TU), la supercellule génère au moins une tornade d'intensité EF1 dans le secteur de Lestrem (Pas-de-Calais, 19h05 TU), où une enquête de terrain a permis d'identifier un axe de dégâts convergents sur un parcours de 6,1 kilomètres et une largeur moyenne de 100 mètres. Au sein du couloir de dégâts, les sens de chute sont principalement orientés SO > NE à SSE > NNO sur le flanc droit, et O > E voire NO > SE sur le flanc gauche.

Les premiers dégâts certains sont identifiés à la Couture, entre la rue Pierre-Leroy et la rue Picavet, où quelques branches sont brisées et des tuiles délogées. A l'intersection de la rue Picavet et de la rue de la Croix-Marmuse, un arbuste est arraché et chute vers le NO. Après avoir brisé quelques branches de peupliers, la tornade frôle la coopérative Perle du Nord puis atteint la rue de la Grande-Voie, limitrophe avec Lestrem. L'intensité devient rapidement significative dans ce secteur (EF1) avec plusieurs habitations endommagées : larges portions de couvertures emportées, bâtiment servant de garage affaisé (OSO > ENE), cheminées abattues, antennes pliées, phénomènes d'aspiration dans les cours. Les mêmes dommages se répètent au niveau de la route de Béthune (Lestrem), où le tourbillon blesse légèrement une personne qui livre le récit suivant : « Il a commencé à pleuvoir, et puis des grêles, des très grosses grêles. Je me suis mis un petit peu à l'abri en-dessous de mon carport, ça s’est calmé [...] et je commence à partir. Je suis parti. Et d'un seul coup j'ai entendu un genre de bruit, un vrombissement, tout ça [couverture d'une pergola] est tombé sur ma tête, j'ai dû courir, tellement c'était un truc de fou [...] » Face à cette même propriété du n°2216, un arbre est arraché (S > N) et de nombreuses tuiles sont déposées sur la chaussée. 

Avant d'atteindre le quartier de la Fosse, la tornade traverse le parking d'un transporteur au n°2095, route de Béthune. Une remorque (non chargée) est couchée par la tornade et traînée sur une dizaine de mètres (SO > NE), ce qui endommage un véhicule voisin dont les vitres explosent. Après avoir traversé la Lawe et endommagé quelques arbres, la tornade atteint une exploitation agricole où les plaques de fibrociment de plusieurs hangars sont arrachées et emportées à distance (SO > NE à O > E). Dans leur chute, elles endommagent plusieurs monuments funéraires dans le cimetière contigu (les éléments de couverture des murs des hangars sont également tordus ou affaissés). Dans le quartier de la Fosse proprement dit, le tourbillon traverse successivement la rue de l'Egalité, la place de la Fosse, la ruelle des Prés et surtout la rue du Centre. Environ 15 maisons sont touchées à des degrés divers : pans de couverture emportés, mobilier de jardin soufflé, arbres arrachés. Les projections, moins spectaculaires qu'à l'entrée du hameau, confirment que le tourbillon diminue progressivement en intensité (EF0+) jusqu'à la rue du Breux.

De la rue du Breux à la rue Perdue, les dégâts se répètent dans plusieurs propriétés et dans les champs : grosses branches brisées, petits arbres arrachés, portions de couvertures (tuiles) emportées. On retrouve la même disposition dans les sens de chute selon la localisation des dommages au sein du couloir (SSE > NNO à NO > SE d'un bout à l'autre). A noter qu'entre la rue du Ponchel-Waltron et la rue Quentin, des débris sont retrouvés dans un champ, sans que leur localisation d'origine n'ait pu être identifiée. 

Arrivée dans le département du Nord (la Gorgue), la tornade endommage des saules plantés dans une exploitation agricole proche du courant du Pont Rinchon. Plus loin, à Riez Bailleul, une ferme est endommagée à son tour (portions de couvertures d'un bâtiment emportées, tuiles soufflées, mobilier de jardin endommagé, arbres arrachés devant la propriété), tandis qu'un cerisier est déraciné en périphérie nord-ouest du couloir (sens de chute : O > E). Au niveau de Basse Rue, puis au Grand Chemin (D947), la tornade est rétrogradée en intensité EF0 (quelques tuiles sont délogées et des branches brisées dans le même axe). 

Compte-tenu des dommages infligés à certaines toitures, de l'état de la remorque et des projections à distance, la tornade de Lestrem est ponctuellement classée en intensité EF1 à l'entrée de la Fosse. Partout ailleurs, les dégâts s'apparent davantage à une intensité EF0 ou EF0+.


Photographies des principaux dommages causés par la tornade de Lestrem : (flèche rouge discontinue : sens de déplacement du phénomène ; flèche rouge continue : sens de chute)

Les zones traversées par le mésocyclone en amont et en aval de Lestrem ont été inspectées, afin d'identifier d'éventuelles phases tornadiques qui auraient pu précéder ou succéder la tornade de Lestrem proprement dite.

Divers dégâts ont été identifiés lors de ces investigations, et il apparaît ainsi que des vents violents ont provoqué par places de légers dommages sur la végétation, notamment au sud-ouest de Bruay-la-Buissière, à Laventie (Pas-de-Calais), à Armentières (Nord) et à Ploegsteert (Belgique). Ces dommages sont tous concentrés dans l'axe de transit du mésocyclone, sans dommages périphériques. Néanmoins, contrairement à ce qui a pu être observé dans le cas de la tornade de Bihucourt du 23 octobre 2022, où les dégâts tornadiques sont continus sur 206 kilomètres, il n'y a pas dans le cas présent de dommages organisés et persistants dans les zones analysées. Dès lors, les critères de qualification d'un phénomène tornadique ne sont pas remplis, ni ceux qui permettraient de les relier à la tornade de Lestrem et de considérer qu'il s'agit d'un phénomène unique de plus grande ampleur et sur une plus grande distance.

De ce fait, même si on ne peut exclure des amorçages tornadiques ponctuels en amont et en aval de Lestrem, seule une tornade avérée est recensée pour le moment, sans maintien durable au sol qui permettrait d'établir un lien entre les différents dégâts recensés par ailleurs. Pour la commune d'Armentières (quelques toitures endommagées), les dégâts sont toutefois suffisants pour classer l'événement de manière distincte en phénomène venteux indéfini.

La supercellule à l’origine de la tornade de Lestrem a été interceptée par une équipe de Keraunos dans le Pas-de-Calais, lors de son transit à proximité de Houdain, au sud-ouest de Béthune, vers 20h20 locales.

A cet instant, la cellule était déjà en activité depuis plus de trois heures. C’est en effet vers 17h00 locales, dans le département de l’Eure, que l’on identifie son initialisation. Elle se renforce progressivement au cours des minutes qui suivent son amorçage et présente de fortes réflectivités dès son entrée sur la Seine-Maritime, vers 17h40. Progressant en direction du NNE, elle adopte vers 18h00 un comportement supercellulaire, se scinde en deux et éjecte un moteur gauche qui fait route plein nord en direction de la Baie de Somme. A la suite de ce split, le moteur droit se renforce notablement en transitant sur l’ouest du département de la Somme, et commence à dévier sur la droite du vent moyen.

Vers 20h00 locales, la supercellule entre dans le Pas-de-Calais et infléchit de plus en plus sa route vers le NE. Elle devient très active, avec des réflectivités > 65 dBZ, et présente au radar une signature typique des supercellules HP (en savoir plus sur les supercellules). Le mésocyclone associé présente plusieurs phases de forte activité tout en prenant la direction du département du Nord ; la supercellule connaît durant cette période au moins une phase tornadique avérée à hauteur de Lestrem, au moment de l’occlusion complète du mésocyclone.

Les photos qui suivent présentent l’aspect visuel de cette supercellule entre 20h20 et 20h45 locales, depuis Houdain, dans le Pas-de-Calais, soit sur le flanc est de la structure. Durant cette période d’observation, l’activité électrique est incessante et composée essentiellement de décharges intra- et internuageuses au sein du courant descendant avant (FFD), qui occupe la partie droite des photos. Sur la gauche, le courant descendant arrière (RFD), massif et puissant, est marqué sur son bord d’attaque par un arcus multicouche, siège d’une activité électrique sous forme d’impacts au sol épisodiques. A l’interface entre les deux, un nuage-mur particulièrement bas est identifiable, dans le prolongement du mésocyclone qui est pris en étau sur le flanc oriental de la cellule. La colonne convective associée est parcourue en permanence de décharges électriques qui produisent un tonnerre continu.

A mesure que la cellule approche, le nuage-mur est vu de plus en plus partiellement compte tenu de l’angle de prise de vue, et d’une progression de plus en plus nette du RFD qui finira par envelopper le mésocyclone une dizaine de minutes plus tard. La dernière photo est prise environ 20 minutes avant la phase tornadique avérée.

La tornade de Lestrem s’est formée dans un contexte dynamique, lié à l’arrivée sur le proche Atlantique d’un thalweg d’altitude bien prononcé. A l’avant, un très rapide flux de SSO se met en place, avec une branche de jet qui s’étire des Pyrénées aux Hauts-de-France. Celle-ci pointe localement à plus de 180 km/h à 250 hPa, et positionne le Pas-de-Calais dans une sortie de jet-streak modérément divergente (ci-dessous à gauche). Au sol, un minimum dépressionnaire circule sur les Cornouailles ; il pilote un système frontal qui s’étire en soirée du nord de la France jusqu’à l’Auvergne sous la forme d’un thalweg de surface, bien discernable ci-dessous à droite.

En basses couches, le flux est orienté au secteur sud et véhicule une masse d’air d’origine tropicale sur la majeure partie de l’Europe. Une langue de hautes valeurs de thêta’w s’étire notamment en soirée de l’Occitanie au Nord – Pas de Calais (> 15°C à 850 hPa), à l’avant d’un front froid qui s’enfonce par l’ouest du pays. Cette advection chaude et humide vient déstabiliser les profils verticaux, qui affichent alors des valeurs de MUCAPE souvent comprises entre 500 et 1000 J/kg, avec MULI jusqu’à -3 à -4 K sur le nord du pays (ci-dessous à droite).

Cette configuration orageuse de type estival s’est par ailleurs accompagnée de cisaillements marqués, près du sol comme en profondeur. La présence d’un jet à 700 hPa, progressant en soirée vers le Nord – Pas de Calais, a notamment contribué à accentuer la SRH et les cisaillements en basses couches sur cette région, et créé ainsi des conditions favorables au développement de structures supercellulaires. Le potentiel de tornade s’est trouvé accentué, comme en témoigne le STP (ci-dessous à droite).

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Nous tenons à remercier Thomas Dupuy pour son précieux témoignage relatif aux dommages observés à Lestrem.