Observatoire français des tornades et orages violents

La tornade de Carlepont du 18 juin 2024 se développe en périphérie sud d'une structure supercellulaire durable qui prend naissance vers 11h30 TU (13h30 locales) à l'ouest des Yvelines. La cellule, d'abord de faible activité, conserve des caractéristiques monocellulaires en traversant le Val-d'Oise entre 12h20 TU et 13h TU. Dans le département de l'Oise, une amorce supercellulaire est observée vers 14h TU à l'ouest de Compiègne. Les premières observations sur le terrain font état d'une rotation assez marquée, avec un tuba déjà observé dans le secteur d'Arsy et de Moyvillers. Après avoir quitté le nord de Compiègne à 14h30 TU, la supercellule désormais à maturité développe une tornade dans le secteur de Carlepont (15h10 TU). Selon les investigations qui ont pu être menées, le phénomène semble bref même si un contact au sol prolongé n'est pas à exclure, surtout en aval.

En progressant vers l'ENE, la supercellule produit un dipôle caractéristique au radar Doppler entre l'Aisne et les Ardennes (15h30 à 18h TU) ce qui confirme la présence d'un mésocyclone persistant et bien structuré. Peu après 18h TU, la supercellule entre en Belgique où elle atteint l'agglomération de Bastogne (Province de Luxembourg, 19h10 TU) avec des chutes de grêle significatives, puis le nord du Grand Duché de Luxembourg (19h30 TU), enfin l'ouest de l'Allemagne où sa présence est encore détectée peu avant 22h TU à l'ouest de Nastätten, en Rhénanie-Palatinat (au-delà de ce point, une activité orageuse continue d'être détectée mais le caractère supercellulaire ne peut plus être vérifié). La supercellule à l'origine de la tornade de Carlepont présente donc un caractère particulièrement durable, avec un parcours d'au moins 400 km et une durée de vie minimale de 8 heures.

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La tornade, qui est abondamment filmée autour de Carlepont, présente les caractéristiques d'une structure à multi vortex au sein d'un mésocyclone bien développé. Pour ceux qui n'ont pas vu la tornade de façon distincte, la rotation ne fait aucun doute : "Les nuages tournaient autour de nous... Du vent... On aurait cru qu'une tornade se préparait. On a même eu une coupure de courant" [Elodie Journa, dans le quartier épargné de Huleu au nord de Carlepont, à 1 km de la tornade]. 

Les extraits de vidéos suivants montrent les diverses phases du phénomène, à distance et à proximité : 

Une enquête de terrain partielle menée par Adrien Vieubled, et appuyée d'une reconnaissance aérienne (ORTHO Express IGN 2024 réalisée quelques jours après la tornade), permettent d'attester d'un phénomène tourbillonnaire sur un parcours d'au moins 2 kilomètres entre le Moulin Neuf et Grand Maupas à Carlepont. Compte tenu d'un mésocyclone persistant et bien structuré, un contact au sol prolongé n'est pas à exclure, surtout en direction de Caisnes où quelques dégâts sur la végétation sont perceptibles (arbres sectionnés ou déracinés).

La largeur du couloir de dégâts est fréquemment comprise entre 100 et 200 mètres, avec une organisation de dommages caractéristiques des tornades à comportement multi vortex. Outre les aspirations périphériques importantes visibles sur les vidéos, cette situation tient surtout au fait que plusieurs tourbillons se sont brièvement succédés sous une base nuageuse relativement étendue, d'où la largeur globale observée. 

Selon les informations émanant du SDIS 60 dépêché sur place, environ 40 bâtiments sont affectés à des degrés divers. L'un d'eux, situé au n°476, rue du Général-Leclerc, est complètement détruit. Il s'agit d'une solide grange d'une superficie de 300 m², qui offrait toutefois une certaine prise au vent sur son versant NE. En plusieurs points de la commune (rue du Général-Leclerc, chemin des Rosettes, rue du Général-de-Gaulle, rue de Verdun, rue Gilbert-Pichard et rue de Cuts), des pans de couvertures sont emportés avec des projections de tuiles et de tôles à grande distance. Dans les jardins et les bois situés dans l'axe parcouru par les tourbillons, plusieurs arbres - dont certains de grande taille - sont arrachés et leurs branches projetées à distance également. Du mobilier de jardin est également soufflé et des vitres brisées.

Mais c'est sans conteste dans l'entreprise F.M.T.P (321, rue de Cuts) que les conséquences auraient pu être bien plus dramatiques : la tornade est filmée depuis l'extérieur par l'un des employés du site, qui a tout juste le temps de trouver refuge à l'intérieur des bâtiments. En traversant l'entreprise, la tornade emporte une partie de la toiture et projette de nombreux débris aux alentours, parfois à quelques mètres seulement des témoins présents sur place, et qui n'avaient vraisemblablement pas pleinement conscience du danger : 

Bien que spectaculaire, cette vidéo rappelle tout le risque engendré par des phénomènes tourbillonnaires de cette nature, en particulier lorsqu'il s'agit d'une structure tornadique à multi vortex qui rend le phénomène encore plus imprévisible et particulièrement dangereux. Il convient de rappeler que des projections de tôles ou de poutres de cette nature peuvent être fatales, surtout dans cet environnement. Jérôme Lagant, témoin et auteur de la vidéo, le concède : "C'est quand elle a commencé à arriver ici que les arbres ont commencé à se coucher, que les tuiles des bâtiments ont commencé à s'arracher ; ils ont tous tapé dans la voiture [...]. On a eu le temps de courir pour aller se réfugier dans le bureau [...] On a eu beaucoup de chance [...] Heureusement qu'il y avait le bureau, sinon, je ne sais pas comment cela aurait fini."  [Le Parisien du 19 juin 2024].

A l'appui des dommages analysés sur le bâtiment rasé, une intensité maximale EF2 est retenue pour la tornade de Carlepont. Partout ailleurs, les dégâts sont plus proches d'une intensité EF1.

Photographies des principaux dommages : 

La tornade de Carlepont s'est formée au sein d'un flux de sud-ouest dynamique, piloté par un cut-off positionné au large du Portugal. Le vaste thalweg d'altitude associé produit un flux très rapide en haute troposphère (ci-dessous à gauche), avec une première branche de jet qui circule du sud du Portugal jusqu'au Centre de la France, et une seconde branche qui se met en place aux abords du Danemark. Cette organisation génère temporairement, à proximité de l'Oise, une configuration diffluente d'entrée droite / sortie gauche entre ces deux branches de jet. C'est dès lors une situation pourvoyeuse de soulèvement à échelle synoptique qui est en place sur le nord du pays durant l'après-midi du 18 juin.

Au sol, le contexte est dépressionnaire également sur l'ouest et le nord de la France (ci-dessous à gauche). Un front ondulant s'étire entre Andalousie, Golfe de Gascogne, Normandie, Hauts-de-France et Benelux. Il sépare une masse d'air d'origine tropicale qui remonte en flux de sud à sud-ouest du Maghreb et de Méditerranée jusqu'aux Hauts-de-France, et une masse d'air plus fraîche, de type maritime polaire altéré, qui s'enfonce depuis l'Ecosse et l'Irlande en direction de la Manche et du nord de la France.

En début de journée, ce front ondulant prend un caractère de front chaud sur la Picardie, puis le renforcement du vent de nord près des côtes de la Manche et de la Mer du Nord fait évoluer l'ondulation en lui donnant un caractère de front froid. L'analyse des thêta'w à 850 hPa (ci-dessous à droite) met bien en évidence ces deux masses d'air et la convergence qui s'organise dans leur zone de contact à proximité de l'Oise, en fin de journée.

C'est au sud immédiat du front ondulant que les conditions deviennent propices aux orages et aux phénomènes tourbillonnaires en cours d'après-midi. Un reforecast a été réalisé avec le modèle WRF-ARW en résolution 3 km, initialisé sur les conditions ERA5. Il en ressort une forte disponibilité en chaleur et en humidité à proximité du front ondulant, comme en témoignent les hautes valeurs de point de rosée sur l'épaisseur 0-1 km de l'Aquitaine aux Hauts-de-France et à la Lorraine (ci-dessous à gauche). Le modèle met par ailleurs bien en évidence la convergence de basses couches de part et d'autre de la limite frontale, avec une convergence nettement plus marquée entre le sud des Hauts-de-France et les Ardennes.

Conséquemment, l'instabilité latente est modérée à forte du sud-ouest au nord-est de la France. Aux abords de l'Oise, les indices de soulèvement oscillent entre -2 et -4K, avec une MUCAPE proche de 1000 J/kg. Les profils verticaux sont ainsi en mesure de supporter une convection profonde et active.

Compte tenu des cisaillements parfois forts associés à cette configuration dynamique, plusieurs plages de SRH 0-1 km > 150 m²/s² sont identifiées sur la France et à ses abords (ci-dessous à gauche). L'une d'elles s'étire de l'Ile-de-France et de l'Oise jusqu'aux Ardennes ; située au plus près des forçages, c'est elle qui a été exploitée au sein de la cellule orageuse à l'origine de la tornade de Carlepont et qui aura favorisé son évolution tornadique. Cette cellule a d'ailleurs d'ailleurs évolué dans un environnement propice aux supercellules, comme en témoigne le Supercell Composite Parameter (SCP, ci-dessous à droite) ; le caractère durablement supercellulaire de cet orage tient vraisemblablement à la très vaste superficie couverte par les fortes valeurs de SCP, avec des valeurs élevées jusqu'en Allemagne.

Si l'on analyse plus spécifiquement les éléments propices aux tornades, on note de fortes réactions du Significant Tornado Parameter (ci-dessous à gauche), avec notamment des valeurs modérées à fortes entre Oise et Ardennes, soit sur l'axe suivi par la supercellule tornadique. Le Tornado Index (indicateur Keraunos multiparamétrique), plus discriminant, confirme la présence d'une situation propice aux tornades entre Oise, Ile-de-France et Ardennes, avec un axe de fortes valeurs plus particulièrement étendu dans le corridor qui, de fait, a vu se former la supercellule et la tornade de Carlepont.

Les images haute résolution du radar d'Avesnes-sur-Helpe montrent bien le passage d'une cellule très active, isolée et compacte sur Carlepont vers 17h10 locales, à l'extrémité sud d'un amas convectif (ci-dessous à gauche). Les vitesses radiales (radar Doppler, à droite) suggèrent au même moment la présence d'un dipôle sur le flanc sud-est des réflectivités les plus fortes. Même si le signal est un peu parasité et brouillé, les éléments constitutifs d'une signature mésocyclonique sont bien présents (ci-dessous à droite). On voit là le marqueur de la rotation tornadique, associée à une organisation supercellulaire de type classique.