Observatoire français des tornades et orages violents

La tornade de Juvigné du 17 septembre 2023 se développe peu après 15h30 TU (17h30 locales), en périphérie sud d'une structure supercellulaire qui prend naissance vers 14h15 TU à l'est de Domalain (Ille-et-Vilaine). Le phénomène, abondamment filmé, présente toutes les caractéristiques d'une "tornade type" à rotation cyclonique : forme parfaite de cône renversé, buisson spectaculaire, net abaissement de la base nuageuse. Les clichés ci-après illustrent bien le phénomène durant sa phase la plus active : 

Une enquête de terrain a pu être réalisée par Gaël Guihot (Météo Mayenne) pour Keraunos. Elle met en évidence un axe de dégâts convergents sur une trajectoire totale de 6,1 kilomètres entre le nord de l'Etang Neuf (Juvigné) et le sud de la N12 (Ernée) après avoir traversé l'est de Saint-Pierre-des-Landes. Comme les diverses vidéos l'illustrent, le couloir de dégâts est restreint (60 mètres) et les aspirations périphériques presque inexistantes. On note également une trajectoire légèrement sinusoïdale avec des fréquentes oscillations. Pour ces raisons, la détermination de l'intensité maximale n'a pu reposer que sur l'analyse des bâtiments, de la végétation ou des objets situés pile dans l'axe du phénomène (le niveau de destruction est rapidement moins important en périphérie immédiate). En conclusion, les dommages s'apparentent principalement à un niveau d'intensité EF1, sauf entre la Souvatte (Juvigné) et la Grande Rébillardière (Saint-Pierre-des-Landes) où l'intensité EF2 (bas de l'échelon) est atteinte. 

A Juvigné, les premiers dommages sont identifiés entre le nord de l'Etang Neuf et le lieu-dit des Poiriers où des toitures en tôles sont arrachées. L'analyse des vidéos prises dans le secteur, combinée aux dommages observés sur le terrain, semblent indiquer un développement très rapide du phénomène qui atteint déjà son niveau d'intensité maximale EF2 dès son arrivée au lieu-dit de la Souvatte : bâtiments agricoles de bonne dimension soufflés (bois et tôles), habitation endommagée, bâtiment en pierre fissuré (toiture emportée), arbres sectionnés. Le parcours de la tornade est bien visible dans un champ de maïs qui est couché sur environ 60 m de largeur. Dans tout ce périmètre, de multiples projections sont visibles aux alentours (grosses branches, tôles, éléments de toitures). Fait singulier, un chien s’est fait happer par la tornade sans être blessé (masse de l'animal estimée à 30 kg). Dans le lieu-dit de Mérolle voisin, des toitures en tôles de bâtiments agricoles sont soufflées et un autre bâtiment totalement détruit jusqu'aux fondements.

La tornade, tout en progressant vers l'ENE (190°), ravage tout un pan de conifères dans un bois d'Ernée, avant d'atteindre la Petite et la Grande Rébillardière, commune de Saint-Pierre-des-Landes. Son passage est de nouveau remarqué dans un champ de maïs sur une largeur proche de 60 mètres. Si la Petite Rébillardière est frôlée par l'ouest, la Grande Rébillardière est frappée de plein fouet et les mêmes dégâts matériels se répètent : poteaux électriques pliés, bâtiments agricoles soufflés (bois, parpaings et tôles), peupliers arrachés, fortes projections à distance.

Toujours à Saint-Pierre-des-Landes, la tornade prend la direction du Bourg Peltier et de la Mézerais où les dommages sont rétrogradés en intensité EF1 : toitures de stabules agricoles touchées, végétation endommagée. Les projections de tôles se poursuivent encore jusqu'au nord de la Mézerais, puis le phénomène se dissipe rapidement aux environs de la D138 ; une vidéo met en évidence une rupture de la colonne avec le sol, puis une dissipation totale de la tornade avec le maintien temporaire d'un axe de rotation à la base du nuage.

Illustrations des principaux dommages grâce à des vues prises par drone : 

La tornade de Juvigné s’est formée au sein d’un rapide flux de SSO, piloté par un cut-off situé sur le proche Atlantique, et accéléré par la résistance d’une dorsale entre Maghreb et Bavière (ci-dessous à gauche). Un thalweg thermique remonte dans ce flux à l’étage moyen en cours de journée, sur l’ouest puis le nord-ouest du pays (ci-dessous à droite).

Dans le même temps, en basses couches, une langue d’air chaud et très humide venu de Méditerranée et d’Afrique du Nord (thêta’w > 20°C à 850 hPa, ci-dessous à gauche) remonte jusqu’au nord de la France, à l’avant d’un front froid qui s’enfonce par la Bretagne. Conséquemment, les profils verticaux sont particulièrement instables pour un mois de septembre, entre autres en Mayenne où la MUCAPE avoisine 2000 J/kg en cours d’après-midi, avec MULI de -6 K (ci-dessous à droite).

C’est dans ce contexte instable et dynamique qu’un thalweg de surface se constitue à l’avant du front froid, en cours d’après-midi, aux abords de la Normandie notamment. En réaction, le flux de basses couches se redresse davantage à l’ESE, comme l’illustre le champ de vent à 250 mètres du sol produit par le reforecast WRF-ARW 3 km (ci-dessous à gauche). Il s’ensuit la constitution de noyaux de forte SRH en très basses couches (ici présenté sur l’épaisseur 0-500 m ci-dessous à droite), en particulier sur le nord de la Mayenne.

Associée à des cisaillements profonds marqués et à une forte humidification des basses couches, cette forte SRH permet la constitution de structures supercellulaires ; l’une d’elles bénéficie d’un environnement suffisamment favorable en Mayenne pour développer une phase tornadique. Le potentiel de supercellules et de tornades est bien confirmé par les deux champs ci-dessous, notamment sur le nord de la Mayenne.