Observatoire français des tornades et orages violents

Sans atteindre les proportions extraordinaires de la tornade EF3 de Bihucourt, la tornade de Beuzeville du 23 octobre 2022 présente déjà des caractéristiques peu communes. Avec une trajectoire totale de 47,6 kilomètres, elle figure en effet au 5e rang des tornades françaises au parcours le plus long, parmi les 873 cas recensés en liste principale par Keraunos à la date du 24 décembre 2022. Cette situation est d'autant plus inédite qu'elle survient durant un outbreak d'au moins 4 tornades, dont la distance parcourue cumulée atteint 267,3 kilomètres. Tout porte à croire que les conditions météorologiques étaient réunies ce jour-là pour générer des tornades durables, avec une emprise au sol exceptionnellement longue.

La tornade de Beuzeville a pu être identifiée à l'appui de vidéos, de témoignages, et d'une enquête de terrain réalisée par Gwenaël Milcareck et Julien Avalet. L'analyse des dommages au niveau du sol, appuyée des données radars, tendent à confirmer de très fortes similitudes avec la tornade de Bihucourt du point de vue de sa structure : phénomène peu visible voire invisible, axe de convergence asymétrique (même si dans le cas présent, l'asymétrie est un peu moins prononcée), aspirations périphériques et dommages généralisés en bordure sud-est du couloir, emprise au sol assez irrégulière, trajectoire marquée par quelques inflexions. Pour ces deux dernières raisons, la largeur moyenne du phénomène, estimée à 200 mètres, dissimule de fortes disparités : de quelques dizaines de mètres à peine localement, le couloir peut s'évaser fortement pour atteindre plus de 500 mètres par endroits, notamment dans un environnement marqué par un faible relief.

La vidéo d'Eric Moutier, prise en direction du nord-ouest depuis le village de Saint-Maclou (5 km au NE de Beuzeville), montre une masse pluvieuse et venteuse qui perdure pendant au moins 40 secondes (le temps de la prise), ce qui montre que le phénomène dans son ensemble exerce une influence durable au niveau du sol. Le coeur de la tornade circule en réalité devant l'observateur (de gauche à droite), et les dommages sur la végétation se produisent à peine à 200 mètres de la vidéo. On distingue clairement un effet d'aspiration avec de nombreux objets légers entraînés vers ce coeur, soit dans la direction du NO, du NNO ou du Nord. Cette séquence illustre une fois de plus le caractère presque invisible du tourbillon qui est masqué par les précipitations comme à Arleux, Cantin ou Bousignies (Nord) dans le cas de la tornade de Bihucourt.

Les premières traces de la tornade de Beuzeville sont identifiées dans le Calvados, à 7,5 km à l'OSO de Lisieux. Près de la mairie des Monceaux, des arbres subissent quelques dommages. Ces faibles dégâts d'intensité EF0 (parfois haut de l'échelon) perdurent jusqu'à l'entrée de Coquainvilliers. Sur ce premier tronçon d'environ 11 kilomètres à travers les territoires des Monceaux, de la Boissière, du Pré-d'Auge et de Manerbe, les mêmes dommages se répètent sans effets majeurs : branches brisées, poteaux électriques renversés par des chutes de branches, mobilier de jardin emporté, tuiles ou ardoises de maisons délogées, tôles de hangars arrachées, quelques petits arbres déracinés ou brisés. L'axe de convergence modérément asymétrique s'illustre ici pleinement : les principaux dommages sont orientés vers le NNE, le N ou le NNO en périphérie SE, et plutôt vers l'ENE en périphérie NO.

Le phénomène, qui circule d'abord vers le NNE (200°), subit une unique inflexion majeure vers l'est (20°) à hauteur de Manerbe, et conserve cette caractéristique jusqu'à sa dissipation (on note toutefois quelques déviations légères dans l'axe linéaire théorique). C'est également approximativement à partir de ce point que la tornade gagne en intensité : dès Coquainvilliers, les dommages présentent progressivement les caractéristiques d'un phénomène d'intensité EF1 jusqu'au sud de Beuzeville via le Breuil-en-Auge, Fierville-les-Parcs, Blangy-le-Château, le Mesnil-sur-Blangy, les Authieux-sur-Calonne, Saint-André-d'Hébertot et la Lande-Saint-Léger. Dans ce périmètre, des arbres de bonne dimension et parfois centenaires sont déracinés ou sectionnés, des pommeraies fortement endommagées, des poteaux électriques en bois brisés, des toitures endommagées, des tôles de hangars arrachées (on note toutefois quelques parcelles où l'intensité diminue temporairement pour retrouver un niveau EF0). La largeur du couloir de dégâts, irrégulière, atteint de quelques dizaines de mètres à 300 mètres très localement. L'orientation des dégâts conserve la même logique, selon leur disposition en bordure SE ou NO du couloir. 

En arrivant à Beuzeville, la tornade gagne très brièvement en intensité (EF2) entre le nord des Faulques et la ZA de la Carellerie, tout en s'évasant fortement. Le tourbillon atteint une largeur fréquemment comprise entre 400 et 500 mètres. Outre les nombreux arbres déracinés ou brisés, des toitures endommagées et de petites constructions écroulées, une habitation de type cottage normand (parpaings, bois et torchis) s'écroule en partie un peu avant l'autoroute A13. Cette même autoroute est traversée avec de nombreuses chutes de branches, mais heureusement sans gravité. Dans la zone d'activités de la Carellerie, la tornade traverse plusieurs parkings de transporteurs où plusieurs dizaines de remorques (dont certaines chargées et prêtes au départ) sont traînées, mises sur le flanc voire retournées. Dans un centre de contrôle technique, la toiture du bâtiment est en partie soufflée. 

Au-delà de la ZA de la Carellerie et jusqu'à Saint-Samson-de-la-Roque (le Torpt, Boulleville, Saint-Maclou, Foulbec), le phénomène est rétrogradé en intensité EF1 (voire ponctuellement EF0) tout en conservant une largeur parfois significative. Au Torpt, une friterie est soulevée de quelques centimètres le long de la D675. Juste à côté, un bungalow chargé est déplacé et roulé par la tornade ; il atterrit sur le toit. Plus grave mais heureusement sans conséquences, un homme surpris par le tourbillon doit s'agripper pour ne pas être emporté. A Boulleville, la tornade renverse un tracteur routier en marche sur la D6178. Dans la rue du Becquet voisine, une station météorologique enregistre une rafale de 136 km/h : elle est située à moins de 100 mètres au sud-est du coeur du tourbillon (la station du phare d'Alistro avait mesuré une rafale de 162 km/h lors de la tornade EF1 de San-Giuliano du 14 juin 2014). A Saint-Maclou (là où le phénomène est filmé) et à Foulbec, la végétation est encore bien endommagée.

Sur les derniers kilomètres de sa trajectoire, la tornade diminue d'intensité et reste durablement EF0 (ponctuellement EF1) jusqu'à sa dissipation au niveau de l'autoroute A131 à Quillebeuf-sur-Seine. Les mêmes dommages (arbres arrachés, tôles emportées, dégâts légers sur les maisons) se reproduisent tant sur le coteau de Saint-Samson-de-la-Roque, que sur les grandes étendues marécageuses de Marais-Vernier. Aucun élément probant ne permet toutefois de prolonger la tornade en Seine-Maritime où elle aurait pu traverser la Seine.

Illustration des principaux dommages : 

Une analyse météorologique détaillée pour la situation remarquable de ce dimanche 23 octobre 2022 est disponible dans le dossier dédié à la tornade de Bihucourt.