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intensité maximale : EF1 soit des vents estimés entre 135 et 175 km/h
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distance parcourue : 4,0 kilomètres
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largeur moyenne : 50 mètres
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commune traversée : CHÂTEAUNEUF-SUR-CHARENTE
(Peuroty, la Meynarderie, centre-ville, île Mattard, D423, le Grand Gaudy (partie sud-est))
* département : CHARENTE (16)
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altitude moyenne du terrain : 35 mètres
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type de terrain : tissu urbain discontinu, zones industrielles et commerciales, vignobles, systèmes culturaux et parcellaires complexes
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principaux dégâts : arbres feuillus déracinés ou brisés net ; tôles arrachées sur des hangars ; habitations endommagées (antennes pliées, cheminées renversées ou vrillées, tuiles propulsées à distance) ; un pan de toiture d'une habitation arraché et projeté à 30 mètres dans le jardin d'une maison voisine ; panneaux de signalisation pliés ou tordus ; un compteur électrique en partie arraché ; clôtures et grillages couchés ou tordus
Une enquête de terrain a été effectuée par Jean-Philippe Forestier pour KERAUNOS. Les relevés de dommages effectués permettent d'attester du passage d'un phénomène tourbillonnaire sur une trajectoire totale de 4 kilomètres et une largeur moyenne de 50 mètres, selon un sens de déplacement de l'Ouest/Nord-Ouest vers l'Est/Sud-Est.
Les premières traces de la tornade se manifestent près de la route d'Archiac, au niveau des carrières Garandeau, lieu-dit Peuroty (arbres ébranchés ou déracinés, quelques tuiles d'une habitation envolées). La tornade, après avoir abattu plusieurs pans de grillages et déterioré un compteur électrique, traverse la D699 et prend la direction de la zone d'emploi de la Meynarderie. A cet endroit les dégâts sont peu perceptibles : tout au plus des antennes sont pliées et quelques tuiles arrachées au niveau des habitations du rond-point.
Situées en grande partie dans l'axe de la trajectoire de la tornade, les rues de Bouteville et Marcelle Nadeau sont en revanche davantage touchées : arbres feuillus déracinés, habitations endommagées et tôles de hangars retournées ou arrachées des toitures.
C'est au carrefour des rues Marcelle Nadeau, Marc Vivien et Limousin Laplanche que le tornade semble avoir atteint son intensité maximale. Un pan de toiture d'une habitation située à cette intersection est arraché et projeté à 30 mètres vers l'ESE, dans un jardin. Le lendemain de l'événement, la corniche de l'habitation ainsi qu'une partie du toit encore debout ont été abattus car ils menaçaient de s'écrouler. Mais, en réalité, seule une partie de la toiture, exposée au nord, a été arrachée par la tornade. Ce type de dégâts relève typiquement de l'intensité EF1.
Dans le centre de la commune (jusqu'à la mairie) des dégâts sont observés au niveau des habitations et de la végétation : antennes pliées, cheminées écroulées, arbres déracinés et tuiles arrachées des toitures.
Dans le quartier de la gare, des arbres sont couchés du côté de la rive gauche du fleuve Charente. Ces dégâts se répètent sur une distance de 400 mètres jusqu'à l'île Mattard qui a également été atteinte. Il est à noter que ces dommages sont bien distincts de ceux qui ont été causés par la dégradation orageuse du 27 juillet 2013, et dont certaines traces étaient encore perceptibles.
A la sortie de Châteauneuf-sur-Charente, les dégâts sont de plus en plus faibles, ce qui témoigne d'un phénomène en cours de dissipation. A travers les champs ou les vignobles, la tornade produit quelques dégâts légers (panneau de signalisation plié vers le nord-est au niveau de la D 423). Enfin, au sud-est du Grand Gaudy, un dernier arbre est déraciné au bord d'une route. Au-delà de ce secteur, aucun dégât de nature tourbillonnaire n'a pu être identifié.
1 Premiers dégâts à Peuroty (arbres déracinés). Déplacement de la tornade symbolisé par les flèches rouges
2 Peuroty - Grillages renversés. Déplacement de la tornade symbolisé par les flèches rouges
3 Route d'Archiac - Clôtures renversées. Déplacement de la tornade symbolisé par les flèches rouges
4 La Meynarderie - Toitures faiblement endommagées. Déplacement de la tornade symbolisé par les flèches rouges
5 Tôles arrachées ou soulevées - Cheminée vrillée
6 Intersection des rues Limousin Laplanche et Marcelle Nadeau - Pan de toiture arraché, avant l'intervention des pompiers
7 Atterrissage du pan de toiture dans un jardin situé à 30 mètres
8 La même toiture après l'intervention des pompiers (mur et corniche partiellement abattus, toit volontairement détruit)
9 Aspect d'un jardin situé à l'arrière de la rue Marc Vivien
10 Quartier de la gare - Arbre couché sur la rive gauche du fleuve Charente. Déplacement de la tornade symbolisé par les flèches rouges
11 Dégâts répétés d'arbres couchés ou brisés jusqu'à l'île Mattard
12 Panneau de signalisation couché vers le NE, au niveau de la D423. Flèches rouges : déplacement de la tornade ; flèches bleues : sens d'aspiration du panneau de signalisation
Analyse du système convectif
La tornade de Châteauneuf-sur-Charente s’est formée sur un front froid actif et instable. Cette configuration n’est pas exceptionnelle, mais elle représente un cas de figure minoritaire parmi les modes de formation des tornades en France.
De fait, la morphologie du front froid qui a balayé le sud-ouest de la France le 28 février 2014 avant l’aube s’est avérée propice aux formations de tornades. Celui-ci s’est en effet structuré sous la forme d’une bande précipitante frontale très étroite, qui s’est d’abord constituée en mer vers 04h30 locales, avant de balayer toute la région Poitou-Charentes du nord-ouest vers le sud-est entre 05h00 et 07h15 locales, ainsi que l’Aquitaine entre 06h00 et 09h00 locales. Une activité orageuse parfois modérée a été observée dans la portion sud de cette ligne frontale.
Ces structures de front froid sont connues pour favoriser le développement de phénomènes venteux de toutes natures. En l’occurrence, de fortes rafales linéaires ont été mesurées au passage de ce front, avec des pointes à plus de 130 km/h, notamment sur les zones littorales.
Par ailleurs, compte tenu des très forts cisaillements ambiants, l’étroite bande précipitante frontale a développé des sous-structures ondulatoires à dominante convective, plus marquées entre le nord de l’Aquitaine et les deux Charentes. Ce type de comportement a déjà été étudié, notamment au Japon ; les études en question concluent notamment à une forte propension de ces structures à générer de multiples misocyclones (tourbillons d’extension horizontale inférieure à 4 km), parfois relativement profonds et tornadogènes.
C’est ce schéma qui s’est vérifié à l’aube du 28 février sur la Charente, avec la formation d’un misocylone frontal suffisamment puissant pour générer une tornade de faible intensité, ayant eu un contact au sol évalué à 6 minutes.
Ceci explique la simultanéité entre la tornade et les fortes rafales descendantes signalées par ailleurs en de nombreux points de l’Aquitaine et de Poitou-Charentes, la zone frontale ayant produit conjointement les deux types de phénomènes.
Analyse des conditions météorologiques
Le front froid actif qui a donné naissance à la tornade de Châteauneuf-sur-Charente s’est développé dans un contexte très dynamique et instable. Il s’est structuré à l’avant immédiat d’une anomalie basse de tropopause dynamique (voir ci-dessous à gauche), qui évoluait rapidement en sortie gauche d’un rapide courant-jet (voir ci-dessous à droite). Cette configuration était propice à un fort soulèvement dynamique sur la façade Atlantique à l’aube du 28 février.
Altitude géopotentielle de la 1,5 PVU (à gauche) et jet à 250 hPa (à droite). Run WRF 16 km du 27.02.2014 18Z.
Cette dynamique synoptique ressort de manière explicite sur l’image satellite en canal vapeur d’eau du 28 février à 07h00 locales (voir ci-dessous). Prise moins de 30 minutes après la tornade, cette image montre bien un front actif de l’Aquitaine au Centre, à l’avant immédiat d’intrusions sèches par le Golfe de Gascogne. Ces dernières trahissent l’arrivée rapide de l’anomalie basse de tropopause dynamique par le nord-ouest et confirment la dynamique synoptique identifiée par le modèle WRF.
En altitude, de l’air froid progresse rapidement à l’arrière immédiat de la trace frontale au sol, avec jusqu’à -33°C à 500 hPa (voir ci-dessous à gauche). Ces advections froides se présentent sur un secteur chaud bien alimenté en air doux et humide en basses couches, comme en témoigne l’analyse des thêta’w à 850 hPa (voir ci-dessous à droite).
Température à 500 hPa et Z500 (à gauche) et thêta'w à 850 hPa (à droite). Run WRF 16 km du 27.02.2014 18Z.
Il s’ensuit une instabilisation modérée des profils verticaux, y compris dans l’environnement frontal lui-même. Ainsi, la MUCAPE pointe à 500 J/kg aux abords de la Charente-Maritime (voir ci-dessous à gauche), tandis que les niveaux de condensation s’abaissent fortement, avec des MLLCL particulièrement proches du sol, inférieurs à 0,5 km sur la Charente (voir ci-dessous à droite).
MUCAPE (à gauche) et MLLCL (à droite). Run WRF 8 km du 27.02.2014 18Z.
Le front froid qui progresse dans cet environnement dynamique et instable présente dès lors une activité forte. Les vitesses verticales simulées par le modèle WRF 8 km France à 925 hPa à 06h00 locales en témoignent, avec des valeurs fortement négatives dans toute la portion sud du front (entre Golfe de Gascogne et Charente), immédiatement suivies par un noyau de valeurs positives (subsidence) en cours de constitution au nord-ouest de cet axe (voir ci-dessous à gauche). L’ensemble est associé à un jet de basses couches qui s’étire tout au long de la limite frontale (voir ci-dessous à droite). C’est ce dernier qui a favorisé les fortes rafales enregistrées au passage du front.
VV à 925 hPa (à gauche) et vent moyen à 900 hPa (à droite). Run WRF 8 km du 27.02.2014 18Z.
Si une tornade est parvenue à se former dans ce contexte, c’est également grâce à la présence d’une très forte hélicité dans les basses couches de l’atmosphère à l’avant immédiat du front froid. On note ainsi des valeurs critiques, autant pour la SRH 0-1 km (ci-dessous à gauche) que pour la SRH 0-3 km (ci-dessous à droite).
SRH 0-1 km (à gauche) et SRH 0-3 km (à droite). Run WRF 8 km du 27.02.2014 18Z.
Ces très forts cisaillements modélisés par le modèle WRF 8 km France sont cohérents avec le radiosondage effectué à Bordeaux quelques heures plus tôt (28 février à 01h locales ; voir ci-dessous). En l’occurrence, ce dernier présente un profil instable, doté d’une MUCAPE / SBCAPE de 156 J/kg, avec MLLCL à 700 mètres d’altitude et niveau d’équilibre à 4.460 mètres. Les cisaillements profonds sont marqués (31 m/s sur l’épaisseur 0-6 km), et l’hélicité relative est forte en basses couches : la SRH 0-1 km atteint 226 m²/s² et la SRH 0-3 km dépasse 320 m²/s².
L’hodographe est étiré et crocheté, typique des contextes propices aux structures convectives linéaires avec potentiel local de phénomène tourbillonnaire.
Profil vertical et hodographe issus du radiosondage de Bordeaux, le 28 février 2014 à 01h locales.