Des orages producteurs de pluies intenses ont provoqué des inondations majeures et tué deux personnes entre Maures et Lavandou.
Inondations dans le Var suite aux orages du matin du 19 janvier 2014. Crédit photo : Var Matin
Pourquoi des pluies et des orages si intenses ?
Les inondations qui ont frappé le Var ce dimanche 19 janvier en matinée sont la conséquence d'un système orageux de petite dimension qui a eu pour particularité de développer un caractère rétrograde. On désigne ainsi les orages qui se réalimentent de manière persistante sur leur flanc arrière, ce qui confère au système convectif un caractère quasi stationnaire. Cette stationnarité conduit les cellules orageuses qui composent le système à se succéder les unes aux autres au même endroit, ce qui finit par générer des lames d'eau particulièrement importantes.
Ce type d'orage constitue une situation susceptible d'être critique en termes de précipitations, surtout si le contexte hydrologique est sensible. Ils présentent en effet un potentiel élevé de dommages par inondations ou glissements de terrain, notamment dans les zones urbanisées ou en relief.
En l'occurrence, c'est vers 07h00 locales qu'une ligne convective a commencé à se constituer entre l'île de Porquerolles et l'ouest du massif des Maures. Elle a alors rapidement gagné en intensité et développé une activité orageuse soutenue, tandis qu'une propagation rétrograde commençait à s'établir dès 07h30 locales. Ainsi, au lieu de s'évacuer rapidement dans le flux, la ligne orageuse, large d'à peine 10 kilomètres dans sa partie la plus active, n'a eu de cesse pendant plusieurs heures de se réalimenter en mer, à hauteur de l'île de Port-Cros. Les cellules orageuses ont alors déversé leurs pluies jusqu'aux environs de 12h00 locales entre Le Lavandou, La Londe-les-Maures et Bormes-les-Mimosas, avec des intensités plus marquées entre 08h00 et 09h30.
Ainsi, même si ces orages n'ont pas été intrinsèquement violents (ce type d'orage se rencontre plusieurs fois par an en France sans générer systématiquement de dommages étendus), c'est leur réalimentation permanente sur une zone géographique très sensible sur un plan hydrologique qui a fini par générer une situation critique.
La situation météorologique était-elle exceptionnelle ?
La configuration synoptique de ce 19 janvier est dominée par la présence d'un
vaste thalweg sur l'ouest de l'Europe. Son axe principal, positionné sur le proche Atlantique, draine de l'air bien froid à l'étage moyen entre Irlande et Bretagne, tandis qu'un
rapide flux de sud s'organise à l'avant, de la Méditerranée à l'Allemagne. De fait, ce type de situation est relativement courant dans ses grandes lignes et se produit à plusieurs reprises chaque année sur notre pays.
Le caractère plus original tient aux hautes valeurs de thêta'w qui remontent de Méditerranée vers la vallée du Rhône et le sud des Alpes en fin de nuit et début de matinée. Ainsi, les valeurs à 850 hPa dépassent 10°C, ce qui représente des niveaux élevés pour un mois de janvier. Ceci témoigne d'un afflux d'air à la fois très humide et très doux dans les basses couches de l'atmosphère. La principale conséquence en est une instabilisation marquée des profils verticaux, avec une MUCAPE qui avoisine 600 J/kg au lever du jour sur le littoral du Var (voir ci-dessous à droite). Une instabilité latente de ce niveau est considérée comme forte en cette période de l'année, d'autant que les profils reconstitués sur la base des relevés réels permettent d'établir que la MUCAPE atteignait en pointe jusqu'à 900 J/kg sur le sud du Var en fin de nuit.
Cette instabilité atteint son maximum au moment où le
contenu en eau précipitable est le plus marqué (> 20 mm) et dans un
environnement par ailleurs propice aux systèmes convectifs peu mobiles. Ceci se traduit sur le Var par un "
storm motion" particulièrement faible, inférieur à 20 km/h dans la simulation du
modèle WRF 8 km (voir ci-dessous à droite).
C'est cette conjonction aux abords du Var, pendant quelques heures, d'une
forte instabilité, d'une
forte humidité et d'un
faible "storm motion" qui a permis la mise en place de cette situation orageuse, non exceptionnelle en soi mais très pluvieuse.
Quelle a été la chronologie des pluies sur les zones frappées ?
La veille des inondations, durant la journée du samedi 18 janvier, des pluies modérées à fortes, continues et régulières, mais sans aspect orageux marqué, avaient déjà concerné le département du Var. Ainsi, cette première phase pluvieuse a contribué à imbiber des sols déjà saturés. Les premiers pics de crue observés sur le Gapeau et le Môle notamment témoignent d'un état hydrologique préalablement très sensible. Ces crues sont assez peu rapides mais significatives. Les lames d'eau relevées au cours de cette première phase ont atteint 50 à 100 mm.
Au matin du dimanche 19 janvier, l'orage à propagation rétrograde qui s'est développé près des Maures a généré de fortes pluies avec lames horaires de 30 à 40 mm. Sur cette deuxième partie d'épisode, de nouveaux cumuls proches de 80 mm ont été mesurés. On estime toutefois que des lames d'eau de 100/130 mm se sont déversées sous cet orage dans le secteur le plus touché de la Londe-les-Maures, le Lavandou ou l'est de la commune de Hyères.
Au total, la zone la plus impactée a très vraisemblablement recueilli des lames d'eau voisines ou légèrement supérieures à 200 mm, ce qui est important sur ce secteur proche du littoral. Les pluviomètres CIRAME positionnés non loin de la zone la plus touchée ont relevé sur l'épisode : 169 mm à Gonfaron, 149 mm à Besse/Issole, 113 mm aux Arcs. Il faut par ailleurs noter que le 16 janvier, un épisode pluvieux moins important avait déjà laissé 30 à 70 mm de pluie dans le secteur.
Comment expliquer des inondations d'une telle ampleur ?
Depuis le 1er janvier, et plus encore en décembre, les cumuls de pluie se sont avérés très importants du littoral varois au relief des Alpes-Maritimes (plusieurs centaines de millimètres).
Ces pluies répétées ont accentué les conséquences hydrologiques de l'épisode des 18 et 19 janvier, lui donnant deux conséquences principales :
- des glissements de terrain (connus aussi sous le terme incorrect de "coulées de boue") : typiques et bien connus dans cette zone (comme dans les Cévennes, les Pyrénées-Orientales ou la Corse). Le sol est saturé en eau ce qui imbibe les argiles et leur permet de dépasser leurs limites de plasticité. Comme le terrain est humide, il est plus lourd donc glisse le long des bancs d'argile devenues ductiles.
- des crues (peu rapides la plupart du temps) : le terrain saturé d'eau n'absorbe plus les pluies. Dans les versants, les nappes temporaires de subsurface affleuraient quasiment. Les nouvelles pluies orageuses, parfois fortes, ne s'infiltrent plus. Il y a donc densification rapide du réseau hydrographique (à fine échelle) et écoulement de la quasi totalité des précipitations en direction des drains.
Les courbes de débit observées sur les hydrogrammes sont assez peu pointues, témoignant d'une phase de croissance (transfert vers les drains, onde cinématique) puis d'une phase d'équilibre (autant d'eau en entrée qu'en sortie) puis d'une décroissance classique mais lente en raison d'une désaturation très longue à ce stade de remplissage (décroissance plus ou moins perturbée par de nouvelles pluies).
Ces caractéristiques hydrologiques se retrouvent au niveau de l'Argens, aussi bien aux Arcs en amont, qu'à Roquebrune en aval (où l'ampleur de la crue reste bien en-deça de l'épisode exceptionnel de juin 2010) ou sur le Gapeau à Hyères :
Hydrogrammes de crue sur l'Argens en amont et en aval et sur le Gapeau à Hyères (Vigicrues)
Sur les secteurs de la La Londe-les-Maures, le Lavandou, Bormes-les-Mimosas ou Pierrefeu, la proximité du massif des Maures a aggravé les phénomènes de glissements de terrain. Par ailleurs, les petits cours d'eau secondaires ou très secondaires prenant leur source dans le massif des Maures ont enregistré des crues bien plus rapides au niveau des hauteurs d'eau (la Môle au Lavandou) :
Hydrogramme de crue sur la Môle au Lavandou (Vigicrues)