Observatoire français des tornades et orages violents

Orage diluvien du 14 juillet 1987 au Grand-Bornand (Haute-Savoie)

Le 14 juillet 1987, en fin d'après-midi, des orages peu mobiles éclatent sur le massif des Aravis, en Haute-Savoie, et produisent des lames d'eau très importantes en peu de temps. Ces pluies, aussi intenses que soudaines, produisent une violente crue éclair du Borne, qui emporte un camping sur son passage et cause la mort d'une vingtaine de personnes. Cet événement tragique est communément désigné comme la "catastrophe du Grand-Bornand".
 

Principales caractéristiques de l'épisode orageux

Orage diluvien du Grand-Bornand le 14 juillet 1987.* phénomènes observés : pluies intenses sous des orages peu mobiles, générant une lame d'eau estimée voisine de 100 mm en moins d'une heure ; une crue éclair de forte intensité se déclenche sur le Borne
 
* structures convectives : orage multicellulaire peu mobile, avec probable comportement à pulsations

* département concerné : HAUTE-SAVOIE (74)

* principaux dégâts : un camping dévasté, un pont emporté et une route nationale détruite sur 700 mètres ; 23 personnes sont tuées, dont deux sont portées définitivement disparues
 

Chronologie et faits marquants de l'épisode orageux

La journée du 14 juillet 1987 est très chaude sur le nord des Alpes. Météo-France relève ainsi des températures maximales de 24,9°C au Grand-Bornand, 26,8°C à la Clusaz, 28,5°C à Chamonix et 31,2°C à Thonon-les-Bains. Les nuages orageux se forment dès la mi-journée sur la Haute-Savoie et un premier orage éclate dès les environs de 15h locales sur les sommets du massif du Borne ; il produit une première réaction hydrologique sur le Chinaillon, cours d'eau qui vient se jeter dans le Borne à hauteur de la commune du Grand-Bornand.
 
A 17h30, un second orage, bien plus virulent, se déclenche sur la chaîne des Aravis. Les pluies sont intenses pendant environ une heure, durant laquelle la lame d'eau estimée dépasse 100 mm près des sommets. Les ruisseaux et torrents gonflent rapidement, tandis que de très forts ruissellements, débordements et obstructions se multiplient sur le massif ; le Chinaillon et le Borne entrent simultanément en crue et viennent confluer en direction du Grand-Bornand où leurs cours se rejoignent. La forte pente du Borne accentue par ailleurs le phénomène de crue torrentielle et, vers 18h30, une vague d'eau boueuse, haute de 1 mètre, chariant des arbres et de la terre, engloutit le camping situé sur la rive droite du Borne, dans le lit majeur du cours d'eau. La durée de la submersion est estimée à moins de quinze minutes. Sous la vitesse du courant, voitures et caravanes sont emportées.
 
Ce n'est que vers 20h30, une fois les orages en cours de dissipation, que la décrue s'amorce sensiblement.
 
Face à la rapidité de l'événement et à l'absence de signaux d'alerte adaptés, de nombreux campeurs se retrouvent piégés. 26 d'entre eux seront néanmoins sauvés par hélicoptère, mais 23 y perdront la vie.
 
Le poste climatologique du Grand-Bornand a relevé 93,4 mm en 3 heures cet après-midi là, dont l'essentiel en moins d'une heure, ce qui représente une lame d'eau remarquable, d'autant qu'elle est selon toute vraisemblance inférieure aux cumuls enregistrés près des sommets. Néanmoins, même si un épisode orageux de cette intensité est peu fréquent, il n'est pas en soi exceptionnel pour les zones de relief françaises. De fait, les conséquences dramatiques de cet orage trouvent surtout leur origine dans une conjonction d'éléments défavorables : la pluviométrie sur ce secteur avait été le double de la normale entre mai et début juillet, l'aménagement de nombreuses pistes de ski a accentué les phénomènes de ruissellement, des travaux en cours sur le Chinaillon ont accru la charge solide lors de la crue, facilitant les embâcles et leurs ruptures soudaines, et le camping lui-même était situé dans le lit majeur du cours d'eau, et de ce fait particulièrement vulnérable en cas de situation orageuse intense.
 
A noter que toute la Haute-Savoie a été frappée par des orages virulents durant l'après-midi du 14 juillet 1987, obligeant de nombreux randonneurs de moyenne et haute montagne à regagner les vallées à la hâte. Ainsi, les cumuls enregistrés par Météo-France sont de 59 mm à La Clusaz et au Reposoir, 23 mm à Sallanches, 20 mm à Chamonix ainsi qu'à Ayze, 17 mm à Combloux et 12 mm à Thônes.
 

 Photographies des dommages

 Les medias télévisés ont diffusé à l'époque des images qui illustrent bien la violence des événements :
 
  

Reforecast de l'épisode

Les orages du 14 juillet 1987 ont fait l'objet d'un reforecast, c’est-à-dire d’une simulation par modèle numérique des conditions météorologiques de l’époque, dans une configuration proche d’une simulation numérique utilisée en prévision opérationnelle. Le modèle utilisé (WRF-NMM) est ici initialisé sur les données de réanalyses du NCEP, dans une configuration couplée mise en œuvre par Keraunos. 
 
Une sélection de résultats du reforecast en résolution de 27 km est présentée ci-après. Elle permet de retracer les conditions météorologiques qui prévalaient lors de cet épisode orageux.
 
D'une manière générale, on note une configuration peu dynamique sur le massif alpin. Une branche de courant-jet est en position sur l'ouest de la France (ci-dessous à gauche), à l'avant d'un thalweg qui tend à accentuer son dynamisme au fil de la journée sur le proche Atlantique. Le nord des Alpes, bien que concerné par une diffluence modérée en haute altitude, se trouve pour l'essentiel à l'écart des forçages, sous une dorsale d'altitude bien dessinée.

Le flux général en basses couches est orienté au sud, et de l'air très chaud et humide remonte d'Espagne et de Méditerranée en cours de journée, avec des thêta'w supérieures à 20°C (ci-dessous à droite). La Haute-Savoie est ainsi concernée par une masse d'air d'origine subtropicale ce 14 juillet 1987.
 
Vent moyen 250 hPa, thêta'w 850 hPa - WRF-NMM 27 km (c) KERAUNOS
 
 Au sol, les conditions sont à dominante anticyclonique sur le massif alpin, au sein d'une dorsale qui s'étire depuis des hautes pressions calées entre Pologne et sud de la Scandinavie (ci-dessous à gauche). Une dépression circule sur le nord-ouest de la France ; elle contribue à accentuer le flux de sud en basses couches sur l'est du pays. De fait, la résultante de cette configuration est d'être propice à des orages peu mobiles, susceptibles de présenter des comportements à pulsation : les cisaillements profonds sont faibles, tout comme le storm motion.
 
Cisaillements profonds et storm motion, le 14 juillet 1987 à 18h00 locales - WRF-NMM 27 km (c) KERAUNOS
 
 
On note par ailleurs une très forte humidification des basses couches au fil de la journée du 14 juillet. Les rapports de mélange s'accentuent nettement sur les Alpes, au sein d'une vaste advection humide qui concerne l'est de l'Espagne et l'ensemble de la France. A 700 hPa, le renforcement de l'humidité est également simulé par le reforecast, notamment entre Savoie et Haute-Savoie. En présence de profils fortement instables (MUCAPE proche de 2.000 J/kg, avec MULI jusqu'à -5 K sur la Haute-Savoie), ces advections humides ont assuré un potentiel pluviométrique important sous les orages qui ont éclaté en fin d'après-midi sur le nord des Alpes françaises.
 
Humidité relative à 700 hPa et MUCAPE/MULI, le 14 juillet 1987 à 18h00 locales - WRF-NMM 27 km (c) KERAUNOS
 
 
Ce potentiel est confirmé par le reforecast haute résolution (WRF-NMM 5 km) réalisé pour cet épisode. Le champ ci-dessous montre les hautes valeurs d'eau précipitable qui remontent d'Afrique du Nord jusque sur la France et l'Angleterre. Les vents vers 1.500 mètres advectent des hautes valeurs en direction du nord des Alpes, où les contenus approchent 40 mm :
 
Eau précipitable le 14 juillet 1987 à 18h00 locales - Reforecast WRF 27 km. (c) KERAUNOS
 

Radiosondage de Payerne

Les radiosondages effectués à Payerne (Suisse) le 14 juillet 1987 confirment les données générées par le reforecast. La localité de Payerne est située à environ 100 km au nord-est du massif des Aravis, ce qui lui confère une certaine représentativité pour la situation analysée.
 
Le radiosondage effectué à 14h00 locales présente un profil très instable, bien humidifié et peu cisaillé. Dans le détail :
Radiosondage de Payerne du 14 juillet 1987 à 14h00 locales. Catastrophe du Grand-Bornand. (c) KERAUNOS* MUCAPE : 2.315 J/kg
* MLCAPE : 1.251 J/kg
* MULI : -7 K
* MLLI : -4 K
* MUCIN : -43 J/kg
* LCL : 893 m
* eau précipitable : 34 mm
* SRH 0-3 km : 66 m²/s²
* cisaillements 0-6 km : 8 m/s
* storm motion : 282° à 31 km/h
 
A noter que le radiosondage réalisé à 20h00 locales à Payerne présente un storm motion en forte baisse (224° à 9 km/h).
 
Les radiosondages réalisés le même jour à Lyon ne sont pas représentatifs des conditions rencontrées au coeur du massif des Alpes, dans la mesure où les basses couches étaient asséchées par un vent de sud soutenu en vallée du Rhône ce jour-là.
 

Images satellite

Les deux images satellite ci-dessous, réalisées par la NOAA à 16h45 locales le 14 juillet 1987, montrent l'activité orageuse en cours de déclenchement sur le nord des Alpes. A cet instant, les premiers orages étaient déjà en cours près du Grand-Bornand, et la cellule la plus violente allait entrer en phase de constitution :
 
 

Coupures de presse

L'article suivant, issu du magazine L'Express, illustre bien l'ampleur de la catastrophe vécue par les victimes de cet orage :
 
L'été 1987 s'annonce bien en Haute-Savoie. Depuis quelques jours, la météo s'est mise au beau fixe. Le Tour de France passera bientôt dans la région et Charly Mottet porte le maillot jaune. Comme beaucoup d'amoureux de la nature, Andrée profite de ce jour férié pour s'offrir, avec des amis, une randonnée en montagne, au plateau des Confins, au-dessus du Grand-Bornand. " En fin d'après-midi, nous avons vu le ciel s'assombrir et nous avons décidé de rentrer ", se souvient-elle. Il fait encore près de 30 degrés. Ici, chacun connaît la violence dont l'orage est capable lorsqu'il s'invite au terme d'une journée de canicule. Mais, ce jour-là, sa puissance dépasse l'imagination. Les nuages, bloqués sur les Aravis, se rejoignent en un front large de plusieurs kilomètres. Ils s'ouvrent, à flanc de montagne, en amont de deux torrents, le Chinaillon et le Borne, un cours d'eau habituellement si paisible en cette saison qu'on peut le traverser à pied. Dans la vallée, au Grand-Bornand, on ne se méfie pas, même si le niveau d'eau monte dangereusement à partir de 17 heures. Le ciel lance bientôt deux nouvelles salves, coup sur coup, alors que les rivières débordent déjà de leurs lits. En l'espace d'une demi-heure, entre 18 h 30 et 19 heures, une vague meurtrière et ininterrompue de pierres, de boue et de troncs mêlés emporte un pont, longe le cimetière et submerge la partie basse du camping du Borne, situé en contrebas du village. Elle hache les caravanes et les voitures, emportées en un terrible convoi impossible à arrêter. Sur la rive, les survivants restent marqués à jamais : " Nous avons vu passer des gens agrippés à des troncs d'arbre emportés par les flots qui hurlaient en nous regardant. Nous n'avons rien pu faire pour eux ", lâche à l'époque un campeur, en état de choc. Un vacancier voit disparaître son épouse et sa fille de 17 ans.

" Lorsque nous sommes redescendus de notre randonnée, nous avons entendu des sirènes et vu passer des dizaines de véhicules de secours ", poursuit Andrée. L'Alouette III de la Sécurité civile a décollé en urgence d'Annecy dans le gros temps. Elle effectue des rotations désespérées pour repérer les vivants, juchés, ici, sur un arbre, là, transis, sur un îlot qui menace d'être emporté. Une gigantesque opération de sauvetage s'improvise, impliquant 400 hommes (pompiers, gendarmes, chasseurs alpins...). Du camping du Borne, il ne reste presque rien. Des familles entières, venues souvent du nord et de l'ouest de la France, sont décimées. Au total, on compte 23 morts (deux des corps n'ont jamais été retrouvés). Parmi eux, de nombreux enfants et adolescents. L'église du Grand-Bornand se transforme en chapelle ardente, visitée par le Premier ministre Jacques Chirac.