Macrorafales d'intensité extrême (D5) dans les Vosges le 11 juillet 1984
Le 11 juillet 1984, au cours d'une dégradation orageuse sévère qui balaie plusieurs régions françaises, des macrorafales d'une intensité extrême (D5) balaient le coeur du département des Vosges. Les dégâts matériels sont localement considérables, mais aucune victime décédée n'est à déplorer. Après inventaire des dommages, plus de 160 communes du département sont destinataires de la circulaire du Comité de Répartition des Fonds de Secours.
Il s'agit de l'un des épisodes de macrorafales les plus sévères observé en France au cours du XXe siècle, avec des rafales maximales estimés proches de 250 km/h dans les villages sinistrés d'Escles et de Hennecourt.
Principales caractéristiques de la macrorafale
* intensité maximale : D5, soit des rafales maximales supérieures à 220 km/h
* superficie touchée estimée : 2000 km² (uniquement dans les Vosges)
* principale(s) commune(s) traversée(s) : ESCLES, HENNECOURT, BELRUPT, HAROL, BOCQUEGNEY, DOMMARTIN-AUX-BOIS, GIGNEY, DAMAS-ET-BETTEGNEY, VILLE-SUR-ILLON, HARDANCOURT, MAZELEY, IGNEY
* département(s) : VOSGES (88)
* altitude moyenne du terrain : 320 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés, territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels
* principaux dégâts : cultures endommagées ; milliers d'arbres déracinés ou brisés net ; vergers détruits ; solides habitations et corps de fermes éventrés, clochers décapités
Trajectoire parcourue par les macrorafales
Trajectoire parcourue par les macrorafales du 11 juillet 1984 dans les Vosges © Keraunos (fond de carte : Google Maps)
Des vents extrêmes proches de 250 km/h au plus fort de l'épisode
En cours d'après-midi du 11 juillet 1984, les températures sont localement caniculaires sur la façade Est du pays. Les températures maximales atteignent 35,2°C à Lyon et Strasbourg, 34,2°C à Dijon, 33,9°C à Metz-Frescaty, 33,6°C à Nancy-Essey, 33,5°C à Luxeuil et 32,7°C à Besançon. Dans ce contexte de fortes chaleurs, les premiers orages de grêle, pour certains de nature supercellulaire, se développent dès le milieu d'après-midi dans les départements de l'Allier, de la Saône-et-Loire et de la Côte-d'Or. Les grêlons atteignent localement entre 6 et 8 cm de diamètre en région Bourgogne, et la superficie touchée revêt un caractère tout à fait remarquable.
En début de soirée, un système convectif - que l'on pourrait attribuer a minima à un puissant MCS* - semble prendre naissance au nord de la Bourgogne, alors que d'autres orages plus isolés continuent à se déclencher dans le nord-ouest de la Lorraine ainsi que dans les régions du Centre-Est. Le système gagne l'ouest de la Haute-Saône vers 17h TU, puis, tout en s'évasant, recouvre la Haute-Marne, l'ensemble de la région Lorraine et le nord de l'Alsace en cours de soirée et début de nuit, avant de s'évacuer en Allemagne. Un noyau particulièrement actif balaie le département des Vosges sur une bande de terrain large de 20 à 40 kilomètres, avant de prendre la direction de Baccarat (Meurthe-et-Moselle), de Sarrebourg, de Phalsbourg (Moselle), de Haguenau, enfin de Lauterbourg (Bas-Rhin) tout en perdant de son activité. Le grand axe de dégâts venteux atteint ainsi près de 300 km entre la Côte-d'Or et la frontière allemande.
Plus particulièrement dans le département des Vosges, une succession de macrorafales, d'une intensité probablement inégalée en France au cours du XXe siècle, balaie 200 communes, soit une superficie d'environ 2000 km². Le maire d'Escles livre le témoignage suivant : "le ciel était blanchâtre et jaune puis un bruit survint de la forêt. Des morceaux de glace tombaient". Le maire de Hennecourt ajoute : "Une masse nuageuse se déplaçait très rapidement vers le nord-est. Il y eut un gros coup de vent. Un camion semi-remorque fut couché." En quelques minutes, les dégâts s'accumulent et atteignent des proportions inédites : cultures endommagées, milliers d'hectares de forêts endommagés ou rasés, vergers détruits, solides habitations et corps de fermes éventrés, clochers décapités, véhicules retournés, pylônes abattus.
Après un minutieux travail d'inventaire réalisé par Keraunos, et appuyé de la documentation disponible pour cet événement, il apparaît qu'au plus fort de l'épisode venteux, les rafales maximales ont approché les 250 km/h à Escles et dans la campagne de Hennecourt. Dans ce premier village, le solide clocher de l'église est décapité, la mairie et de nombreuses habitations sont éventrées, et la végétation dévastée. A Hennecourt, le clocher de l'église est emporté, certaines parcelles forestières détruites en totalité, certains étages d'habitations arrachés et des pylônes électriques en fer tordus ou abattus par le vent. Dans le reste du département, 12 autres communes subissent des rafales estimées entre 180 km/h et 220 km/h : Belrupt, Harol, Bocquegney, Mirecourt, Dommartin-aux-Bois, Gigney, Damas-et-Bettegney, Ville-sur-Illon, Hardancourt, Mazeley et Igney. A cette liste, s'ajoutent 32 communes supplémentaires où les vitesses de vent sont comprise entre 150 km/h et 180 km/h.
Le bilan humain reste modeste et tient du miracle : 6 personnes blessées, sans pronostic vital engagé. L'évaluation sommaire des dégâts causés par ces macrorafale avance le chiffre (très provisoire) de 300 millions de Francs (près de la moitié concerne les habitations particulières). A cet inventaire, s'ajoutent 12 000 hectares de forêts publiques endommagées ou rasées, sans compter les forêts privées et les vergers. L'importance des dommages nécessite le déclenchement du plan ORSEC et le débloquage d'aides d'urgence.
Harol - Aperçu d'une parcelle de forêt dévastée - Les arbres sont brisés et déchiquetés © La Liberté de l'Est - Gaston Curien
Pylône électrique tordu par le vent entre Escles et Hennecourt © La Liberté de l'Est - Gaston Curien
Escles - Vue aérienne du village après l'événement (secteur considéré comme le plus sinistré) © La Liberté de l'Est - Gaston Curien
Début des travaux de reconstruction, comme ici à Escles - Au premier plan ce qu'il reste de la mairie © La Liberté de l'Est - Gaston Curien
De nombreux clichés sont disponibles dans la revue éditée par l'Association des Maires des Vosges.
Un épisode décrit à tort comme une "gigantesque tornade transfrontalière"
Les coupures de presse, les récits de l'épisode et même certains bilans climatologiques officiels de l'époque ont décrit cette dégradation orageuse comme étant la conséquence du passage d'une gigantesque tornade ayant balayé le nord-est du pays et une partie de l'Allemagne. Sur la base des connaissances météorologiques de l'époque, cet abus de langage tient essentiellement au caractère inédit des dégâts, dont on ne trouve probablement pas d'équivalent depuis l'outbreak de tornades de juin 1967. Pourtant, l'épisode met clairement en évidence un axe de dégâts linéaires ou divergents, propre à des macrorafales de très forte intensité. Les multiples phénomènes d’accentuation extrême et très localisée ("burst swaths") se traduisent par des couloirs longs et étroits de dégâts, qui font penser à ceux laissés par les tornades. Mais la nature des dommages et leurs caractéristiques sont toutefois différentes et permettent de différencier les deux phénomènes lors d'enquêtes de terrain ou de vues aériennes, comme c'est le cas ici.
La nature très turbulente des arcus générés par les systèmes convectifs très venteux a pu donner lieu à des "griffes" au comportement tourbillonnaire, de même qu'il est vraisemblable qu'un ou plusieurs mesovortex aient pu se former transitoirement sur le bord d'attaque des systèmes orageux ou sur leurs extrémités. Ces éléments peuvent expliquer certains témoignages recueillis à l'époque, mais aucun couloir de dommages convergents et rotatifs n'a pu être mis en évidence dans les zones où ces témoignages ont été recueillis.
Dès lors, en l'absence d'élément de preuve objectif, l'intégralité des dévastations observées le 11 juillet 1984 dans le département des Vosges et dans le nord-est de la France restent à ce jour attribuées à des rafales descendantes.
Analyse de la situation météorologique
La situation météorologique du 11 juillet 1984 a pu être reconstituée à partir des données du programme de réanalyses ERA5 du Centre Européen de Prévision (résolution 30 km). En complément, afin d'analyser plus en détail le contexte de méso-échelle, le modèle WRF-ARW 3 km a été déployé en version « reforecast » et initialisé sur ERA5 avec les conditions du 11.07.1984 00Z.
Il ressort de ces analyses que la journée du 11 juillet 1984 est marquée sur la France par un puissant flux de sud-ouest, entre un vaste thalweg d’altitude qui s’enfonce de l’Irlande vers le Portugal d’une part, et une dorsale solide qui s’étire du Maghreb à la Pologne d’autre part (ci-dessous à gauche l’analyse à 250 hPa, soit vers 10.000 mètres d’altitude). A l’étage moyen (500 hPa, ci-dessous à droite), un thalweg secondaire remonte rapidement en journée depuis le Portugal jusqu’au Benelux, pris dans ce flux rapide et contrasté.
Vent moyen à 250 hPa et Z250 le 11 juillet 1984 à 12h TU. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Tourbillon relatif à 500 hPa et Z500 le 11 juillet 1984 à 18h TU. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Les forçages associés sont puissants sur l'est de la France, qui est alors soumis à des advections d'air très chaud et humide en basses couches, caractérisées par des valeurs de thêta'w à 850 hPa voisines de 20°C (ci-dessous à gauche). Le soulèvement est d’autant plus efficace qu’un minimum dépressionnaire se creuse progressivement au sol entre Bourgogne et Vosges, à l’avant d’un front froid qui se rabat rapidement par l’ouest du pays au fil de l’après-midi (ci-dessous à droite). Le contexte est dès lors très propice à un soulèvement massif, assuré conjointement par une forte convergence humide en basses couches et une ondulation de jet bien diffluente en altitude.
Thêta'w à 850 hPa, vent à 850 hPa et Z850 le 11 juillet 1984 à 12h TU. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Pression réduite au niveau de la mer le 11 juillet 1984 à 12h TU. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Cette très forte dynamique synoptique vient balayer une masse d'air très chaude et potentiellement très instable. En résolution 3 km, les profils verticaux affichent des valeurs d'instabilité très importantes dont une MUCAPE qui oscille entre 2500 et 3500 J/kg et des indices de soulèvement (MULI) de -8 à -10K (ci-dessous à droite).
Valeur maximale de la MUCAPE le 11 juillet 1984. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Valeur minimale du MULI le 11 juillet 1984. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Parallèlement, la proximité du jet permet aux cisaillements profonds de se révéler particulièrement marqués, avec des valeurs dépassant 30 m/s sur la tranche 0-6 km, voire localement 40 m/s (carte ci-dessous à gauche). Conséquence de cette conjonction entre très forte instabilité et puissants cisaillements, une convection très profonde et virulente se déclenche sur le nord-est de la France. L’image satellite modélisée par le reforecast témoigne bien d’une activité convective intense, avec sommets pénétrants.
Cisaillements profonds le 11 juillet 1984 à 17h TU. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Image satellite infrarouge simulée pour le 11 juillet 1984 à 16h TU. Reforecast ARW 3 km initialisé le 11.07.1984 00Z. © KERAUNOS
Le potentiel venteux extrême de cette situation est bien restitué par les rafales convectives modélisées par ce reforecast. Un potentiel de rafales supérieures 130 km/h concerne ainsi une vaste zone qui couvre la Bourgogne et la Lorraine, avec des vitesses maximales de 240 à 250 km/h modélisées sur le département des Vosges. De telles valeurs n'ont pour l'heure jamais été observées sur une modélisation opérationnelle depuis que Keraunos produit quotidiennement des prévisions du risque d’orage (soit depuis 2006), ce qui met en évidence le caractère exceptionnel de cet épisode.
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