Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF4 à Moncetz-Longevas (Marne) le 19 octobre 1874

Le 19 octobre 1874, vers 16h40, une tornade meurtrière de très forte intensité (EF4) ravage la vallée de la Marne et la commune de Moncetz-Longevas, au sud-est de Châlons-en-Champagne. Le phénomène provoque des dégâts de très grande ampleur à l'est du village. Surtout, une personne meurt écrasée par l'effondrement de sa maison.
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Moncetz-Longevas (51) du 19 octobre 1874intensité maximale :  EF4, soit des vents estimés entre 270 km/h et 320 km/h
* distance parcourue : 18 kilomètres
* largeur moyenne : 200 mètres

* communes traversées : SOGNY-AUX-MOULINS (la Marne), CHEPY (canal latéral à la Marne), MONCETZ-LONGEVAS (Moncetz, Longevas), COURTISOLS, SOMME-VESLE
* département : MARNE (51)
* altitude moyenne du terrain : 140 mètres
* type de terrain : territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : chevaux et voitures soulevés et entraînés ; fermes ou corps de logis détruits ou très endommagés ; bois de pins forestiers anéantis (arbres brisés, amoncelés, dépouillés) ; arbres feuillus (gros peupliers, chênes) brisés, étêtés, broyés, dépouillés ; cultures endommagées ; cinq vaches et un cheval tués ; plusieurs habitations en partie détruites, dont l'une, neuve, faites de pierres et de briques, entièrement démolie ; débris divers, dont des branches de chênes, emmenés à plus de 15 kilomètres
 
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée (English version) . Cette version de l'échelle EF, élaborée et mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen et permet ainsi une notation précise des tornades, valable autant pour les tornades contemporaines que pour les tornades du passé, et homogène internationalement. 
 

Parcours de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Carte de l'Etat-Major de 1820-1866)
 

Maisons écroulées et débris emportés à plus de 15 kilomètres

La tornade de Moncetz-Longevas a fait l'objet d'une importante médiatisation, et de multiples publications dans des ouvrages scientifiques.

Le phénomène, vu d'un grand nombre de témoins, prend naissance dans la vallée de la Marne, à la limite des territoires de Sogny-aux-Moulins et de Mairy-sur-Marne : "Le météore a pris naissance à 4h40 du soir, à la suite d'un violent orage. La rencontre de deux nuages noirs très bas, rencontre marquée par un éclat de tonnerre qui renversa deux personnes, paraît avoir déterminé la formation du phénomène; immédiatement après, on a vu les nuages se précipiter tumultueusement de deux côtés de la trombe et s'y engouffrer." [Trombes et cyclones, ZURCHER et MARGOLLE, 1876].
 
Les premiers effets de la tornade sont observés rive gauche de la Marne, où un homme est renversé et sa voiture soulevée par le tourbillon. Entre la vallée de la Marne (territoire de Chepy) et la commune de Moncetz, la végétation a fortement souffert. Des arbres adultes, parfois de grande dimension (jusqu'à 1,70 m de circonférence) sont déracinés ou rompus. Le long du canal latéral à la Marne, ce sont 170 arbres qui ont été déracinés ou abattus. Plus loin, un bois de pins sylvestres est ravagé : "des troncs de 0,40 mètre de diamètre sont tordus et réduits à une masse de fibres disjointes"  [Académie des Sciences, 1875]. La tornade s'évase de plus en plus, et sa largeur passe de quelques dizaines de mètres à près de 200 mètres.
 
Sur le territoire de Moncetz-Longevas (section de Moncetz), la tornade dévaste l'est du village : cinq corps de logis, dont trois construits avec une grande solidité, sont fortement endommagés ou entièrement détruits. Plusieurs personnes sont ensevelies sous les décombres ; l'une d'elles est blessée mortellement dans l'écroulement de sa maison. D'autres personnes sont blessées plus ou moins grièvement, notamment dans la campagne : "M. Geoffroy qui se trouvait à une distance de plus de 500 mètres a eu le crâne meurtri par la chute d'un chevron." [Journal de la Marne du 22 octobre 1874]. Au nord-est du sinistre, un bois de pins sylvestres de 600 mètres sur 50 à 60 mètres de largeur est détruit ; il ne reste pas un seul arbre debout. Ils tombent dans toutes les directions et, de place en place, sont accumulés en pyramides.
 
Au hameau de Longevas, la tornade s'attarde sur une ferme : elle épargne une remise d'une construction légère, mais abat un coin de mur de grange solidement assis et entraîne en outre des lambeaux de toiture. Sur cette portion, la tornade produit des dommages sur une largeur de 400 mètres. 
 
Au nord-est de Longevas, la tornade détruit des plantations anciennes de pins sylvestres. Plus loin, un petit bâtiment inhabité est enlevé à peu près en entier et ses débris n'ont pas é retrouvés.
 
Enfin, la tornade se dirige vers l'extrémité sud de Courtisols (section de Saint-Julien) et vers Somme-Vesle, avant de se dissiper, après 18 kilomètres de trajectoire.
 
On déplore également des victimes animales suite à cette tornade : cinq vaches et un cheval sont tués.
 
 
* * *
 
Outre de solides habitations détruites, la tornade de Moncetz-Longevas est marquée par d'importants phénomènes d'aspirations et de projections à distance, d'où l'intensité EF4 retenue :
 
- poutre en chêne de 10 mètres de longueur sur 0m20 et 0m25 d'équarrissage, arrachée et portée à 50 mètres de distance,
- tuiles, débris de toiture emportés jusqu'au hameau de Longevas, distant de 4 kilomètres,
- sol recouvert de débris sur une largeur de 80 à 200 mètres,
- branches de chêne retrouvées à plus de 15 kilomètres de distance,
- une personne entraînée avec son cheval attelé à une voiture chargée de betteraves, dans une direction perpendiculaire au trajet de la tornade.
 

Une tornade à multi vortex?

La tornade de Moncetz-Longevas a parcouru une distance de 18 kilomètres, sur une bande de terrain comprise entre quelques dizaines de mètres et 400 mètres sur la deuxième partie de sa trajectoire.

Selon plusieurs témoins, et après l'analyse des dégâts au niveau du sol, le tourbillon semble avoir présenté de fortes aspirations périphériques, voire une structure à multi vortex. Les détails sont en effet très nombreux : "La trombe ne parait former à cet endroit (au début de son parcours) qu'une seule colonne, ou, tout au moins, s'il y en a plusieurs, elles ne laissent entre elles que fort peu d'intervalle". [Lettre d'un instituteur de Moncetz]. "La trombe, composée d'abord d'une seule colonne, se divise bientôt en quatre ramifications bien distinctes, touchant plus ou moins le sol ; l'une d'elles n'enlève que les sommets des arbres qu'elle atteint ; à la sortie de Moncetz, la zone ravagée a déjà 200 mètres de largeur; à Longevas, 400 mètres." [Trombes et cyclones, ZURCHER et MARGOLLE, 1876].
 
Les dégâts au niveau du sol semblent confirmer les observations faites par les témoins visuels : "On observe dès lors les traces de plusieurs ramifications de la trombe bien distinctes ; la plus importante n'épargne rien sur son passage, les autres latérales laissent des parties intactes suivant sans transition un effroyable abattis. L'une d'elle n'enlève que les sommets des arbres qu'elle atteint. A un demi-kilomètre de là, la trombe atteint les dernières maisons à l'est du village. Sa largeur approche de 200 mètres; quatre colonnes laissent des traces bien tranchées".


Analyse de la situation météorologique

La situation météorologique du 19 octobre 1874 a pu être reconstituée à partir des données du programme de réanalyses "20th Century Reanalysis" mené par la NOAA, l'ESRL et le PSD. L'approche ensembliste développée par ce programme permet de reconstruire par modèle les conditions météorologiques à tous les niveaux de l'atmosphère à partir d'un nombre restreint de données d'observations. Les résultats sont certes à considérer avec une certaine prudence compte tenu des périodes reculées auxquelles ils s'appliquent, mais ils présentent un degré de fiabilité élevé qui permet une reconstruction pertinente de la plupart des épisodes météorologiques majeurs des 180 dernières années.
 
La journée du 19 octobre 1874 est dominée sur la France par un flux de sud-ouest, piloté par un thalweg d'altitude en approche par l'Atlantique, tandis que résiste plus à l'est une dorsale sur l'Europe Centrale (ci-dessous à gauche). Cette configuration génère habituellement un axe de forçage étiré de l'Aquitaine à la Lorraine. En basses couches, une masse d'air tropicale remonte depuis l'Espagne jusqu'au sud et au nord-est de la France, tandis qu'un front froid s'enfonce par le nord-ouest du pays (ci-dessous à droite).



Au sol, un axe faiblement dépressionnaire est identifié de l'Espagne à l'Aquitaine et jusqu'au nord de la France (ci-dessous à gauche). Cet axe a vraisemblablement canalisé l'essentiel de l'activité orageuse, avec des orages préfrontaux entre Aquitaine, Centre, Massif Central, Champagne et Lorraine. La reconstitution des précipitations pour l'après-midi du 19 octobre 1874 est cohérente avec cette hypothèse (ci-dessous à droite).



Les stations météorologiques en activité à l'époque permettent de confirmer les grandes lignes de cette situation. Sur la carte ci-dessous figurent les relevés de pluie effectués le 19 octobre 1874 en différents points du territoire (la couleur des pastilles varie selon la hauteur d'eau observée, selon l'échelle en haut à gauche). On remarque des cumuls plus significatifs d'une part près des Pyrénées et du Massif Central, et d'autre part du Centre à l'Ile-de-France, la Champagne et l'Avesnois. C'est vraisemblablement sur ces régions que l'activité orageuse la plus forte a été observée :



Dans le département de la Marne, au plus près du passage de la tornade, les relevés suivants sont effectués au cours de cette journée du 19 octobre 1874 :



A noter que l'intégralité des archives des stations météorologiques de France métropolitaine sont consultables sur cette page.


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