Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF3 à Dreux (Eure-et-Loir) le 18 août 1890

Le 18 août 1890, une tornade meurtrière de forte intensité (EF3) ravage quatre communes d'Eure-et-Loir, dont la ville de Dreux qui est traversée de part en part. Les dégâts, qui se chiffrent à plusieurs millions de francs, s'étendent sur une trajectoire totale de 9 kilomètres et une largeur moyenne de 400 mètres.
 
La tornade de Dreux s'inscrit dans un outbreak de tornades (épisode de tornades groupées) qui totalise 3 cas pour les journées des 18 et 19 août 1890 (24 heures glissantes), dont la tornade EF2 de Domagné (Ille-et-Vilaine) et la tornade EF4 de Saint-Claude (Jura).
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Dreux (28) du 18 août 1890intensité maximale :  EF3, soit des vents estimés entre 220 km/h et 270 km/h
* distance parcourue : 9 kilomètres
* largeur moyenne : 250 mètres

* communes traversées : VERNOUILLET (la côte Saint-Thibault), DREUX (Saint-Thibault, vallée de la Blaise), CHERISY (confluent Blaise/Eure), ABONDANT (Brissard, parc du château d'Abondant)
* département : EURE-ET-LOIR (28)
* altitude moyenne du terrain : 110 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés, territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : des milliers d'arbres feuillus déracinés ou brisés net, dont certains troncs emmenés à 150 mètres ; habitations solides endommagées (toitures enlevées, murs lézardés, pans de murs écroulés) ; constructions basses entièrement détruites ; deux pans de murs du tribunal démolis ; un billard déplacé de trois mètres ; très nombreuses projections à distance et débris emportés par la tornade

NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen. 
 

Trajectoire de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte: Géoportail)
  

Chronologie du phénomène au-dessus de la cité drouaise

La journée du 18 août 1890 est chaude et orageuse en Eure-et-Loir. L'air y est décrit comme exceptionnellement lourd.

Vers 21h45, on aperçoit, dans la direction de Marville-Moutiers-Brûlé et de Garnay (au sud-sud-ouest de Dreux), une masse orageuse illuminée d'éclairs incessants qui donnent l'impression d'un "horizon incendié" [Journal des débats politiques et littéraires du 22/08/1890]. D'après les témoignages, l'orage qui s'avance vers la cité drouaise est accompagné d'un roulement de tonnerre ininterrompu mais très peu intense.

Durant un quart d'heure, l'orage progresse avec les mêmes caractéristiques qui donnent l'illusion d'un phénomène de faible intensité. A 22 heures, après une faible ondée, les grondements de tonnerre se rapprochent mais conservent une intensité ordinaire. A 22h05, une averse de pluie et de gros grêlons s'abat sur la ville, puis un calme relatif se produit durant une courte période.

A 22h10, un bruit intense, comparable à "celui d'un train énorme lancé à toute vapeur" [rapport de Léon Teisserenc de Bort, 1890], est perçu durant une minute environ. Certains habitants distinguent une masse nuageuse qui se déplace à la hauteur des maisons: la tornade a frappé la ville de Dreux et se dirige déjà en direction du nord-est. Immédiatement après le phénomène, le ciel se rassérène et l'atmosphère retrouve son calme habituel.  

Dégâts importants sur une distance de 9 kilomètres

La tornade a dévasté un couloir étiré de la commune de Vernouillet jusqu'au parc du château d'Abondant, soit sur une trajectoire totale de 9 kilomètres et une largeur moyenne comprise entre 80 et 450 mètres (la largeur maximale ayant été observée en pleine ville).

D'après la note de M. Léon Teisserenc de Bort, présentée par Anatole Bouquet de la Grye à l'académie des Sciences en 1890, les premières traces de la tornade sont observées à hauteur de la ligne de chemin de fer, au sud-ouest du faubourg de Saint-Thibault : "Les premières traces de la violence du vent se voient au sud de la ligne du chemin de fer de Dreux à Argentan. Il y a quelques pommiers abattus sur la hauteur; près du pont qui donne passage à la route qui mène à Garnay, les chaumes d'un champ en pente sont tous couchés dans la direction du nord; après le remblai du chemin de fer, on voit aussi des arbres brisés, d'autres arrachés, et les dégâts augmentent d'intensité. La première construction située à l'extrémité sud-ouest du faubourg de Saint-Thibault a été très endommagée; les maisons basses occupées par des maraîchers et qui bordent les prairies dans le thalweg de la vallée ont peu souffert. Le vent dans cette région a brisé les arbres, sans les déraciner, à 2 m et 3 m du sol. Mais toutes les maisons du faubourg faisant face au sud-est, et qui ont eu ainsi à supporter le premier choc de l'ouragan, sont très atteintes et la plupart sont démolies. Il est vrai de dire que ce sont des constructions avec châssis de bois et torchis, ou bâties en pisé."
 
A Dreux, les dégâts sont significatifs le long de la côte et du faubourg Saint-Thibault. Les habitations des maraîchers sont détruites, quoique construites avec châssis de bois et torchis. Le tribunal civil a sa toiture enlevée et deux énormes pans de mur sont démolis. Des milliers d'arbres sont déracinés, broyés ou brisés net et encombrent la vallée de la Blaise. Un pommier a même été retrouvé dans le faubourg sans que l'on sache d'où il provenait. Ce fait s'est reproduit dans la vallée de la Blaise.  
 
Illustration des principaux dégâts dans le faubourg Saint-Thibault et dans le centre-ville de Dreux, grâce à des clichés exceptionnels acquis par Keraunos en 2016 :


Après avoir remonté la vallée de la Blaise où la plupart des habitations ont été endommagées (toitures enlevées pour certaines, murs lézardés pour d'autres), la tornade a franchi un coteau et a poursuivi ses ravages sur la commune d'Abondant. Là, c'est le hameau de Brissard qui a le plus souffert : plusieurs habitations de sa moitié ouest se sont effondrées. Enfin, la tornade a achevé son œuvre destructrice dans le parc du château d'Abondant, où de nombreux arbres (dont des chênes de haute futaie) ont été brisés ou déracinés.
Les dégâts sont estimés à plusieurs millions de francs. La tornade a provoqué la mort d'une seule personne : une femme qui venait en cabriolet avec son mari et qui fut enlevée par le vent. Elle a été projetée à 30 mètres et tuée sur le coup.
 
Il est à préciser que selon les observations et témoignages de l'époque, le même orage aurait provoqué d'autres dégâts à l'ouest des Yvelines, notamment dans le secteur d'Epône, situé à 35 km au nord-est d'Abondant. A ce jour, la nature exacte du phénomène sur ce secteur n'a pu être déterminée.
 

Aperçu de la zone sinistrée sur la ville de Dreux

La carte ci-dessous, issue du journal l'Illustration du 30 août 1890 (et dont la Une a été acquise par Keraunos en 2012), représente le parcours de la tornade au niveau de la ville de Dreux, du sud-ouest au nord-est:
 
 
 
Cette même Une illustre l'intérieur d'une habitation sinistrée, dont un billard a été déplacé de trois mètres :
 
       

Contexte météorologique du 18 août 1890

Les données issues du programme de réanalyse par méthode ensembliste de la NOAA (ESRL/PSD) permettent de reconstituer les grandes lignes de la situation météorologique qui prévalait le lundi 18 août 1890, à l'heure de la tornade.
 
On note ainsi la présence d'un rapide flux de sud-ouest en altitude, avec un courant-jet étiré de l'Espagne jusqu'au sud de la Scandinavie. Ce flux est piloté par un thalweg positionné sur le proche Atlantique, avec un cut-off identifié à 500 hPa. Ce dernier est associé à une goutte froide simulée ici à -19°C à cette même altitude géopotentielle.

     
Réanalyses à 250 hPa et 500 hPa pour le lundi 18 août 1890 à 18h TU.
 
En basses couches, des remontées d'air très chaud en provenance d'Afrique du Nord concernent une grande partie de l'Europe. A 850 hPa, la température est simulée supérieure à 15°C sur la quasi totalité de la France, avec l'isotherme 20°C qui commence à franchir les Pyrénées. Ces advections d'air tropical s'organisent autour d'un axe dépressionnaire qui concerne l'Espagne et l'ouest de la France en soirée. Le flux est convergent au sol de l'Aquitaine au Centre et à la Picardie. Un minimum dépressionnaire secondaire de méso-échelle tend à se creuser en soirée sur la région Centre. Cet élément, présent dans les réanalyses, est confirmé par les mesures barométriques de l'époque.
 
     
Réanalyses à 850 hPa et au sol pour le lundi 18 août 1890 à 18h TU.
 
 De forts contenus en eau précipitable sont simulés de la France jusqu'au nord de l'Allemagne (30 à 40 mm), avec une instabilité latente élevée (MUCAPE > 2.000 J/kg). Les plus fortes valeurs d'instabilité sont situées sur la région Centre.
 
     
Réanalyses du contenu en eau précipitable, du vent à 950 hPa et de la MUCAPE pour le lundi 18 août 1890 à 18h TU.
 
C'est ainsi une situation fortement propice aux orages qui était en place sur la France ce 18 août 1890. On y retrouve tous les éléments dynamiques habituellement associés aux épisodes orageux sévères sur notre pays.
 

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