Les violents orages de grêle du 13 juillet 1788
Le 13 juillet 1788, un épisode orageux particulièrement sévère balaie en matinée toutes les régions qui s'étirent du Poitou-Charentes jusqu'à l'Ile-de-France et le Nord-Pas de Calais. Le long de cet axe, les orages sont destructeurs : fortes rafales de vent et violentes chutes de grêle provoquent des dévastations parmi les plus sévères du XVIIIème siècle en France.
Principales caractéristiques de l'épisode orageux
* phénomènes observés : violentes chutes de grêle, avec diamètres jusqu'à 8 cm, blessant voire tuant plusieurs personnes et du bétail ; rafales de vent estimées supérieures à 150 km/h
* structures convectives : probablement un système convectif de méso-échelle préfrontal (MCS), au sein duquel se sont vraisemblablement constituées deux supercellules
* régions traversées : POITOU-CHARENTES, CENTRE, ILE-DE-FRANCE, PICARDIE, NORD - PAS DE CALAIS
* principaux dégâts :
grêle : toitures trouées, vitres brisées, cultures et végétation hâchées, animaux tués ;
vent : toitures endommagées, avec matériaux de couverture parfois envolés, arbres déracinés, grosses branches cassées, moulins détruits, flèches d'églises abattues
Trajectoire de l'épisode
Trajectoire des orages du 13 juillet 1788 et zones dévastées par la grêle. © Gallica/BNF
Chronologie et faits marquants de l'épisode orageux
Face à l'ampleur des dévastations, une enquête a été organisée par l'Académie des Sciences, dont le rapport a été publié en 1790. Elle a permis de recueillir quantité d'informations sur cet épisode orageux remarquable et d'en reconstituer les grandes lignes.
Dès le soir du samedi 12 juillet, des orages parfois violents sont déjà observés dans le nord-ouest du pays. Le Maine, le Vexin, la majeure partie de la Normandie, ainsi que l’ouest de la Picardie et le Pas-de-Calais subissent de fortes chutes de grêle et de violentes rafales de vent. En quelques minutes, plus de 1.000 pommiers sont déracinés dans les environs de Montivilliers, en Seine-Maritime.
Avant l'aube du dimanche 13 juillet, l'activité orageuse reprend par les côtes d'Aquitaine et le littoral de la Charente-Maritime. Des orages sont ainsi signalés vers 05h30 en Charente-Maritime, sur l'Ile d'Oléron, à la Rochelle, dans le Saintonge, à l'embouchure de la Seudre, puis dans les environs d'Angoulême (Charente) et de Poitiers. Ces orages sont déjà forts, avec des chutes de grêle signalées en plusieurs points de la région Poitou-Charentes et notamment en Aunis.
Des orages producteurs de chutes de grêle se déclenchent également au lever du jour sur la Dordogne, où ils provoquent des dommages aux vignes et aux arbres fruitiers.
Mais c'est en abordant la région Centre, et notamment l'Indre-et-Loire, que les orages s'intensifient sensiblement. L'arrivée des orages est signalée entre 06h30 et 07h00 en Touraine. Deux bandes de grêle distinctes s'organisent alors au sein du système orageux. Séparés par 20 à 30 km l'un de l'autre, ces deux couloirs de grêle vont alors s'étirer jusqu'aux frontières belges, en présentant des largeurs importantes : le couloir Ouest oscille entre 15 et 25 km de large, tandis que le couloir Est avoisine 7 à 15 km de large.
Les orages atteignent l'Eure-et-Loir à 07h30. Leur intensité est particulièrement violente. Les procès-verbaux de la Société Archéologique d'Eure-et-Loir évoquent encore un siècle plus tard cet épisode de grêle comme le pire jamais connu dans cette région. De fait, la majeure partie du département est dévastée par la grêle, ainsi que par de violentes rafales de vent qui déracinent des arbres et brisent des branches en quantité.
La flèche du clocher de l’église de Gallardon est renversée par les rafales de vent, en pleine messe. Elle tombe sur les voûtes de l’église qui s’effondrent en partie. L’église de Sours, au sud-est de Chartres, subit des dommages comparables, avec chute d’une partie de la flèche sur la nef, qui s'effondre. Aux abords de cette même commune, on signale également de nombreuses toitures de maisons endommagées par le vent. Trois moulins sont déportés sur une dizaine de mètres, et un quatrième endommagé. Deux hommes trouvent la mort et plusieurs sont mutilés. Des arbres sont traînés sur 20 à 30 mètres de distance.
Le Loiret est également frappé vers 07h30, heure à laquelle les orages sont signalés dans les environs d'Orléans. Entre Blois et Artenay, les dommages liés à la grêle sont nombreux.
L'Ile-de-France est à son tour frappée à partir de 08h00 : les orages y entrent par les Yvelines, balaient Paris vers 08h30, puis passent Pontoise peu après. Les chutes de grêle y sont dévastatrices. En Essonne, à Etampes, les grêlons, très nombreux, s'accumulent localement sur une épaisseur qui avoisine 60 à 80 cm. Cette épaisse couche de glace mettra ensuite 3 jours à fondre. Toujours en Essonne, à Méréville, un grêlon difforme de 10 cm sur 5 cm est rapporté. Le Château de Rambouillet, dans les Yvelines, est dévasté : 11.749 vitres y sont comptées comme brisées par la grêle, ainsi que la quasi totalité des tuiles. Le contrôleur des bâtiments y indique une infinité d'impacts de grêle, avec des trous dans les carreaux qui avoisinent 8 cm pour les plus gros. Les enduits des murs exposés au sud et à l'ouest sont arrachés. Les violentes rafales de vent qui accompagnent l'orage détruisent un millier d'arbres dans le parc du château, essentiellement des grosses branches cassées. Les rafales de vent s'engouffrent dans les bâtiments par les fenêtres brisées et causent quelques soulèvements de toitures, notamment sur les granges du château.
Le Château de Vincennes n'est pas épargné, et des grêlons de 8 centimètres y sont également mesurés.
Les orages entrent ensuite en Picardie et frappent la région de Crépy-en-Valois et de Beauvais entre 09h00 et 09h30. Clermont, Saint-Just-en-Chaussée, Montdidier sont frappés par la grêle.
Le département du Nord est enfin touché en fin de matinée : les orages y sont signalés à 11h00 sur Douai ainsi qu'au Cateau-Cambrésis. Chutes de grêle et rafales de vent s'y déchaînent avec violence, notamment entre Douai et Lille : à Flines-lez-Râches, plusieurs bâtiments sont endommagés et de nombreux arbres en partie cassés ; à Coutiches, trois granges, un moulin et d'autres bâtiments subissent des dégâts. A Lille, une multitude de vitres sont brisées, notamment sur les parties sud et est de la ville.
A la mi-journée, le système orageux passe la frontière belge et frappe les secteurs de Courtrai (vers 12h30) et d'Oudenaarde. Il poursuit ensuite sa route vers Utrecht, Anvers et Gand, avant de toucher les Pays-Bas et notamment la Hollande Septentrionale (Texel).
Plusieurs personnes et un grand nombre de bestiaux (vaches, moutons, volaille, gibier,...) sont blessés grièvement voire tués. Au total, ce sont 1.039 paroisses qui ont été sinistrées par la grêle durant la matinée du 13 juillet 1788, ce qui causa 24.962.000 francs de dommages.
Cartographie d'époque des zones frappées par la grêle
Description des grêlons
Les grêlons présentent des formes décrites comme variables, certains ronds, d'autres oblongs et irréguliers, avec de multiples aspérités. Le rapport de l'Académie les décrit ainsi :
"Parmi les grêlons irréguliers, les uns étaient demi-sphériques, d’autres arrondis au milieu et comme armés de pointes, d’autres approchant de la forme de l’octaèdre, d’autres longs et épais comme des morceaux de glace, d’autres représentant des stalactites branchues. Au centre de la partie la plus épaisse de ces derniers, on distinguait un point blanc, opaque, rond, gros comme un pois, qui paraissait en être le noyau."
Le poids des grêlons est estimé le plus souvent entre 200 à 300 grammes, et jusqu'à 600 à 750 grammes pour les plus gros d'entre eux. Les diamètres des grêlons sphériques ont atteint jusqu'à 8 cm, et jusqu'à 10 cm pour les grêlons difformes.
Les chutes de grêle ont été estimées à une durée de 7 à 8 minutes sur les zones balayées par le système orageux.
Il est intéressant de noter que ces chutes de grêle, remarquables par leur sévérité et exceptionnelles par l'étendue géographique concernée, se sont produites entre 07h et 11h pour l'essentiel, soit à des heures de la journée habituellement peu propices aux fortes chutes de grêle.
Analyse météorologique : MCS, supercellules et possible derecho
Les informations météorologiques sont peu nombreuses au XVIIIème siècle et l'essentiel des conclusions que l'on peut en tirer sont de ce fait davantage des hypothèses que des certitudes.
Néanmoins, sur la base des relevés de l'époque et des observations rapportées aux divers points du couloir suivi par les orages, il est vraisemblable que cet épisode orageux se soit structuré au sein d'un très rapide flux de sud-ouest, qui devait être piloté par un thalweg situé sur le proche Atlantique. Compte tenu des températures élevées observées le 12 juillet sur plusieurs régions françaises (jusqu'à 33°C à Paris par exemple, entre 28 et 30°C dans la région de Lille), la masse d'air en présence devait présenter des caractéristiques subtropicales marquées, après un transit Maroc - Espagne - France. L'humidité devait être forte, car la chaleur est qualifiée d'accablante durant la journée du 12 juillet dans les annales météorologiques de Lille. La configuration générale devait dès lors être celle d'un "spanish plume".
Les caractéristiques des orages du soir du 12 juillet laissent supposer qu'une ou plusieurs supercellules ont dû se former entre Normandie et Nord - Pas de Calais, dans l'air le plus chaud et à l'avant des forçages principaux. Ces forçages ont de toute évidence abordé dans la nuit du 12 au 13 juillet le littoral Atlantique, et généré la constitution rapide d'un MCS virulent à l'avant immédiat d'un front froid. Le net refroidissement observé à l'arrière des orages (20°C l'après-midi du 13 juillet à Paris), associé à une rotation du vent au secteur ouest, appuient cette hypothèse.
Compte tenu des observations rapportées par les témoins de l'époque, et de la nature des phénomènes destructeurs, il est probable que ce MCS se soit structuré sous la forme d'une vaste ligne orageuse très active et dotée d'une vitesse de translation rapide (75 à 85 km/h), sans doute à tendance arquée, au sein de laquelle deux structures supercellulaires ont dû s'organiser et perdurer durant plusieurs heures. Ceci permettrait d'expliquer la présence de deux couloirs de grêle distincts et persistants au coeur du front orageux. A noter que la probable supercellule nord a généré une activité venteuse sensiblement plus violente que la probable supercellule sud.
Les violentes rafales de vent signalées sous ces orages le long d'un couloir de plusieurs centaines de kilomètres permettent de considérer qu'il s'agit vraisemblablement d'un épisode de type derecho. Ces rafales de vent ont d'ailleurs présenté pour l'essentiel des caractéristiques très linéaires (macrorafales) et aucun élément ne permettant d'identifier une tornade parmi les dommages analysés à l'époque n'a pu être mis en évidence. En effet, tous les reports de dégâts font état de projections du sud-ouest vers le nord-est, de champs couchés en direction du nord-est, d'arbres déracinés en direction du nord-est, de toitures surtout endommagées sur leur côté sud-ouest et de moulins à vent couchés en direction du nord-est. L'ensemble est caractéristique de violentes rafales descendantes orientées sud-ouest/nord-est.
Sélection de sources d'informations d'époque
L'astronome Messier décrit en ces termes la situation vécue depuis Paris (Mémoires de Mathématiques et de Physique de 1788) :La matinée du 12 juillet 1788, à Paris, fut assez belle. Vers onze heures du matin, le ciel se couvrit en grande partie, et les nuages annonçaient de l'orage ; le vent éaoit au sud-est, l'air calme ; une grande chaleur régnait ; elle était étouffante et accablante : le ciel redevient assez beau l'après-midi, avec du soleil. A dix heures du soir, il se couvrit de nouveau en grande partie, se découvrit ensuite, et la nuit du 12 au 13 fut assez belle, à l'exception de quelques nuages.
Pendant la matinée du 13, le ciel se couvrit de plus en plus. Vers les huit heures, un vent violent s'éleva, les nuages s'accumulèrent, et amenèrent une grande obscurité. Vers les neuf heures, l'orage se déclara : le vent au sud-ouest, un tonnerre roulant se fit entendre avec force, et pendant huit minutes environ il ne mit presque pas d'intervalle entre les coups.
La chaleur, avant l'orage, était très incommode, très étouffante, surtout dans les rues ; elle enveloppait, et semblait sortir d'un brasier. La nuée se déclara par une forte grêle qui ne fut pas générale dans Paris ; il n'en tomba que des grains fort ordinaires, noyés dans une averse abondante de pluie qui dura depuis huit heures et demie jusqu'à neuf heures et demi, seulement au centre et au midi de Paris ; mais au faubourg Saint-Antoine la grêle fut forte, cassa des vitres et détruisit les légumes.
Pendant la matinée du 13, le ciel se couvrit de plus en plus. Vers les huit heures, un vent violent s'éleva, les nuages s'accumulèrent, et amenèrent une grande obscurité. Vers les neuf heures, l'orage se déclara : le vent au sud-ouest, un tonnerre roulant se fit entendre avec force, et pendant huit minutes environ il ne mit presque pas d'intervalle entre les coups.
La chaleur, avant l'orage, était très incommode, très étouffante, surtout dans les rues ; elle enveloppait, et semblait sortir d'un brasier. La nuée se déclara par une forte grêle qui ne fut pas générale dans Paris ; il n'en tomba que des grains fort ordinaires, noyés dans une averse abondante de pluie qui dura depuis huit heures et demie jusqu'à neuf heures et demi, seulement au centre et au midi de Paris ; mais au faubourg Saint-Antoine la grêle fut forte, cassa des vitres et détruisit les légumes.
Conséquences économiques
Les dégâts sur les cultures sont tellement importants qu'ils produisirent une hausse du prix du blé dans les mois qui suivirent. Même s'il ne s'agit pas d'une cause première, cet événement climatique de grande ampleur a vraisemblablement contribué à la déstabilisation du régime politique de l'époque et aux événements qui mèneront à la Révolution.
En 1789, les Cahiers du Tiers-Etat font mention de diverses revendications consécutives à cet événement climatique :
On lit dans le Cahier de Neauphle-le-Château : La grêle qui a ravagé une partie de la France a fait dans notre paroisse des plaies profondes qui ne se fermeront pas de sitôt ; les paroisses, au contraire, qui ont eu le bonheur d’en être préservées se sont enrichies par le prix des grains qui a doublé. Ne serait-il pas de l’équité que ces paroisses enrichies par nos malheurs supportassent pendant quelques années la portion des impôts qu’il ne nous est pas possible d’acquitter, puisque nous n’avons rien récolté ?
[…]
[…]
Comme ce désastre se renouvelle malheureusement trop souvent, nous désirons que la Nation assemblée s’occupe des moyens d’établir une caisse de secours. Pour y subvenir, les bénéficiers ne se plaindraient certainement pas si le Gouvernement retenait sur leurs bénéfices de quoi fournir à cette caisse.
[…]
Bazoches et diverses autres communes exposent que depuis l'orage du 13 juillet 1788, les habitants sont hors d'état de payer aucun subside, n'ayant pas même de quoi se nourrir, et devraient être déchargés de tout impôt pour une année.
Ozoir-la-Ferrière émet le voeu de l'établissement d'une caisse d'assurances agricoles contre les fléaux extraordinaires.
Ozoir-la-Ferrière émet le voeu de l'établissement d'une caisse d'assurances agricoles contre les fléaux extraordinaires.
Les élections et les cahiers de Paris en 1789. Tome 4 / documents recueillis, mis en ordre et annotés par Ch.-L. Chassin
Des chutes de grêle causées par les cloches des églises ?
Des raisons parfois surprenantes sont avancées à l'époque afin d'expliquer l'origine de cet épisode de grêle :
Demander la suppression des cloches, qui occasionnent des accidents sans nombre, comme la chute du tonnerre et de la grêle ; faire observer à ce sujet que la dernière, qui a fait un tort considérable, n’aurait été que du volume des plus larges gouttes d’eau, si les cloches mises en branle le même jour, à la même heure, à l’occasion de la grand’messe, n’eussent causé une vive et forte commotion dans l’air, qui a occasionné la rupture des nuages et la chute des masses d’eau qui se sont subitement congelées en passant au travers d’un air qui, privé de la chaleur du soleil par l’épaisseur des nuages, était au plus grand froid possible.
Les élections et les cahiers de Paris en 1789. Tome 4 / documents recueillis, mis en ordre et annotés par Ch.-L. Chassin
Cette explication - fantaisiste - compte parmi les plus originales qui aient été données aux orages de grêle.